Amazon envisage de lancer aux Etats-Unis un compte de paiement. Un projet qui met en lumière l’intérêt des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), ces géants de l’économie numérique, pour le business bancaire.

Après l’e-commerce, le cloud, les appareils électroniques et le divertissement, le prochain business d’Amazon sera-t-il celui de la banque ? Cette perspective a été relancée récemment par un article du Wall Street Journal, selon lequel Amazon aurait approché au cours de l’automne dernier quelques grandes enseignes bancaires états-uniennes. Objectif : conclure un partenariat pour lancer un compte de paiement aux couleurs d’Amazon, destiné à des clients pas ou mal bancarisés (et qui ne peuvent donc pas acheter sur son site), et à ses plus jeunes clients, dont les liens avec les banques traditionnelles sont déjà distendus.

Mettre un pied sur un marché dominé par les banques ne serait pas une première pour Amazon. Aux Etats-Unis, l’e-commerçant propose déjà une carte bancaire aux clients de son offre Prime. Un produit développé avec la banque JPMorgan Chase, qui figure également parmi les acteurs approchés pour le compte de paiement. « Avec ce compte, Amazon irait un cran plus loin, mais se situerait dans l’extension naturelle de ce qu’il fait déjà », estime Marc Giordanengo, manager au sein du cabinet de conseil Ailancy.

Réduire la domination de la carte bancaire

Derrière ces initiatives d’Amazon, un projet : réduire la part de la carte bancaire dans les paiements effectués sur ses sites. « La carte bancaire reste aujourd’hui un outil indispensable dans la chaîne de valeur du paiement en ligne », constate Marc Giordanengo. Mais cette prédominance a deux conséquences pour les e-commerçants : elle leur ferme la clientèle non équipée, notamment celle des mal-bancarisés, et elle leur coûte cher : chaque paiement donne lieu, en effet, à des commissions réglées aux banques et autres prestataires. « En permettant à ses clients de payer sans obligation d’avoir recours à la carte, Amazon compte bien réduire ses coûts », confirme Marc Giordanengo.

D’autres grands commerçants ont déjà tenté le coup. Presque toutes les enseignes de grande distribution proposent des services de paiement, et la plupart planchent sur leurs propres portefeuilles électroniques. En France notamment, Carrefour Banque, déjà active sur la carte et le crédit, a également lancé C-zam, un compte de paiement à petit prix. En Chine, Alipay, service de paiement développé par l’équivalent chinois d’Amazon, Alibaba, est le service de paiement électronique le plus utilisé au monde et s’étend désormais dans le monde entier.

Les GAFA « légitimes » dans le secteur des paiements

Mais au-delà des intérêts stratégiques immédiats d’Amazon, pourquoi l’annonce d’un éventuel compte de paiement a-t-elle autant de retentissement ? Sans doute parce qu’on prête de longue date aux poids lourds de l’économie numérique des ambitions dans le domaine bancaire. A l’image du géant français des télécoms, Orange, qui a lancé en novembre dernier une offre en France, Orange Bank, et considère clairement la banque comme un relais de croissance face à la baisse de rentabilité de son cœur de métier, les télécoms.

L’arrivée des GAFA, il est vrai, a de quoi faire peur aux acteurs en place. Tous disposent déjà d’importantes bases de clientèle dans la plupart des pays. Et l’argent n’est pas un souci : la seule capitalisation boursière d’Amazon est supérieure est à celle additionnée des deux plus grosses banques états-uniennes, JPMorgan Chase et Bank of America.

Dans l’immédiat, toutefois, leur activité dans le domaine est circonscrite, comme les grands distributeurs, au secteur des paiements. « Facebook, avec sa messagerie instantanée, est légitime à offrir des services de paiement entre particuliers », estime par exemple Marc Giordanengo. Depuis 2015 aux Etats-Unis et 2017 en France, les usagers de Messenger peuvent en effet effectuer des paiements à leur amis. Apple et Google - qui développent les deux principaux OS mobiles, iOS et Android - sont de leur côté présents sur le paiement mobile sans contact. Le premier propose Apple Pay depuis juin 2016 en France et a élargi son service aux paiements en ligne et, uniquement aux Etats-Unis pour l’instant, entre particuliers. Google, de son côté, vient de rassembler l’ensemble de ses activités de paiement sous la marque Google Pay et devrait arriver en France dans le courant de l’année 2018.

Effacement des frontières

Ces initiatives sont bien, d’après Marc Giordanengo, le signe d’un « effacement des frontières entre les industries », une caractéristique de l’économie numérique. Les GAFA ont-elles pour autant l’intention de lancer des banques à part entière, capables de fournir des produits et services de banque au quotidien, mais aussi de crédits et d’épargne ? Le fait qu’Amazon se rapproche d’un acteur existant pour son projet de compte de paiement permet d’en douter. Et l’industrie bancaire elle-même ne semble pas y croire. « Je ne vois pas les GAFA dans la banque », expliquait ainsi récemment dans La Tribune Thierry Laborde, en charge de la banque de détail chez BNP Paribas, « seulement dans le paiement et la data, parce que le paiement leur permet d'avoir accès à des expériences en magasin qui les intéressent et parce que les données sont la clé de la fidélisation des utilisateurs ».

Marc Giordanengo, toutefois, a un regard légèrement différent. « Les GAFA étendent leurs activités en cercles concentriques, en fonction de leurs besoins et des gisements de rentabilité », explique le consultant spécialisé. Amazon et Google ont ainsi déjà testé des offres de crédits, dans les deux cas à destination des PME du secteur technologique. « Aujourd’hui avec les taux bas et les contraintes réglementaires, on voit mal les GAFA s’aventurer sur l’épargne et le crédit », conclut Marc Giordanengo. Mais qu’en sera-t-il en cas de changement de conjoncture ?