Ce vendredi, le Crédit Mutuel Arkéa entame la première étape de sa procédure de sortie du Crédit Mutuel avec le vote des caisses locales de Bretagne et du Sud-Ouest. Le point sur ce long feuilleton bancaire, à la veille d’une saison décisive, en 8 questions.

1 - Que représente Arkéa au sein du Crédit Mutuel ?

Le groupe Crédit Mutuel Arkéa annonce au total « 4,24 millions de clients et sociétaires » dans ses résultats financiers 2017. Ce chiffre concerne toutefois l’ensemble du groupe, en incluant Fortuneo notamment. Arkéa contrôle trois fédérations du Crédit Mutuel : Massif Central (112 000 « sociétaires et clients »), Sud-Ouest (400 000) ainsi que la puissante fédération de Bretagne (1,8 million). Le siège et les services centraux d’Arkéa sont basés au Relecq-Kerhuon, en périphérie de Brest.

Au sein de la Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM), qui chapeaute les fédérations régionales, le CM Arkéa fait figure de groupe n°2, derrière le CM11, basé à Strasbourg et qui contrôle comme son nom l’indique 11 fédérations, dont Centre Est Europe et Ile-de-France. Entre les deux, quelques « groupes régionaux » à la structure indépendante : Crédit Mutuel Antilles-Guyane, CM Maine-Anjou Basse-Normandie, CM Océan et CM Nord Europe.

2 - D’où vient cette volonté de sécession ?

Raconter la chronologie de ce conflit interne au Crédit Mutuel ? Difficile mission tant les faits et reproches avancés par les deux camps s’opposent… Une chose est sûre : la rivalité historique entre la caisse de Strasbourg et celle de Brest date du siècle dernier. Arkéa dénonce les velléités centralisatrices de la CNCM, présidée pendant de nombreuses années par Michel Lucas et plus récemment par Nicolas Théry, lequel dirige aussi le puissant groupe CM11. La CNCM évoque elle une stratégie émancipatrice d’Arkéa menée sur plusieurs années, en présentant ce projet comme guidé en premier lieu par les ambitions de Jean-Pierre Denis, président d’Arkéa depuis 2008.

En cette semaine précédant le vote des caisses locales, la direction du Crédit Mutuel Arkéa n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet. Mais, en février, Jean-Pierre Denis et le DG du groupe Ronan Le Moal ont co-signé une lettre ouverte à leurs clients et sociétaires : « Libre, le groupe Arkéa l’est depuis toujours. Libres, nous proposons à nos administrateurs de le rester, en refusant toute forme de centralisation qui impacterait nos activités, notre fonctionnement, notre développement. » Ces derniers mois, Arkéa a ainsi dénoncé des instructions données à ses dirigeants, la volonté de la CNCM d’« imposer » les outils informatiques du groupe CM11 dans le cadre du reporting et la nécessité de remonter à la confédération des informations financières, alors qu’Arkéa considère le CM11 comme un groupe concurrent. Interrogé par cBanque, Pascal Durand, directeur de la CNCM, réfute lui toute volonté de centralisation : « Ces demandes sont formulées à toutes les fédérations régionales affiliées à la CNCM », avance-t-il, expliquant que les « demandes de reporting, de la part du superviseur, sont effectivement de plus en plus importantes et détaillées » suite aux évolutions réglementaires européennes.

3 - Qui a gagné le marathon judiciaire ?

Aucun des deux camps. Ou, pour être plus précis, chaque camp trouve dans les multiples décisions judiciaires rendues depuis 2014 matière à confirmer le bienfait de sa stratégie. Exemple, le 8 mars dernier, Arkéa s’est vu refuser l’ouverture d’une caisse à Paris. Mais, dès le lendemain, Arkéa tenait sa revanche, le Conseil d’Etat ayant censuré la procédure de sanction engagée par la CNCM. Un partout, balle au centre ? Pas totalement, dans cette bataille juridique, le Crédit Mutuel Arkéa n’a pas réussi à obtenir l’usage de la marque Crédit Mutuel tout en sortant du giron CNCM, le nerf de la guerre pendant de longs mois. C’est pour cette raison qu’Arkéa cherche désormais à s’émanciper totalement du Crédit Mutuel.

4 - Quel est le calendrier de la procédure de divorce ?

Ce vendredi commence la consultation des caisses locales Crédit Mutuel du réseau Arkéa. Cette consultation va s’échelonner jusqu’à la mi-avril et concernera toutes les caisses de Bretagne et du Sud-Ouest. Le Crédit Mutuel Massif Central (CMMC) a de son côté entamé une procédure inverse cet été, le conseil d’administration ayant fait le choix de « la convergence vers le CM11 ». La fédération du Massif Central refuse donc d’organiser le vote des caisses locales.

Cette consultation des conseils d’administration des caisses locales de Bretagne et du Sud-Ouest sera dans les faits un vote de principe : pour ou contre le projet de sortie du Crédit Mutuel. Les résultats seront connus mi-avril. La CNCM enjoint Arkéa à procéder à un « vote démocratique et éclairé », Bercy et la Banque de France ayant eux réclamé « la plus grande transparence à l’égard des sociétaires et des clients du groupe ». Le groupe Arkéa a ainsi adressé aux administrateurs de caisses locales un « document d’aide à la décision », que nous nous sommes procuré. Ce document reprend les derniers courriers des dirigeants et des pouvoirs publics français et européens, ainsi qu’une longue argumentation sur les enjeux du vote.

Dans ce document, un second vote est évoqué : à l’automne, les caisses locales se prononceront cette fois définitivement sur le projet de sortie finalisé. Si les deux votes sont favorables à la sortie, la mise en œuvre effective de la séparation pourrait avoir lieu à l’horizon 2020.

5 - Quels seront les statuts d'Arkéa ?

C’est « LE » point qui reste à éclaircir. Le gouvernement « ne souhaite pas modifier la loi existante », comme le souligne Bercy dans un communiqué diffusé début février, n’envisageant donc pas la création d’un nouveau groupe bancaire mutualiste construit autour d’un « organe central », à l’image du Crédit Mutuel, du Crédit Agricole, et du groupe Caisse d’Epargne-Banque Populaire. Arkéa a toutefois accueilli favorablement les propos de l’ex-gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, qui privilégie « les solutions non législatives » dans son rapport sur le sujet, si « la séparation devait s’imposer ».

Les discussions entre Arkéa, la BCE et le régulateur bancaire (ACPR) sont en cours. La BCE et l’ACPR ont exprimé de « sérieux doutes », fin février, concernant une première option présentée par Arkéa, qui plancherait sur un « dispositif alternatif ». Lequel ? Arkéa répète à l’envi que l’ouverture à des actionnaires privés est hors de propos, et que le projet reste « coopératif et mutualiste ». Selon Pascal Durand, de la CNCM, la seule voie envisageable serait la « société coopérative de banque »… Réponse à l’automne prochain, à l’heure du vote sur le projet finalisé.

6 - Comment s’appellera la future « Banque Arkéa » ?

Les agences Crédit Mutuel de Bretagne et Crédit Mutuel du Sud-Ouest n’auraient pas vocation à se transformer en « Banque Arkéa ». Les noms envisagés sont précieusement gardés sous silence mais l’objectif serait de rester fidèle aux deux adjectifs actuellement répétés en boucle : « coopératif et mutualiste ».

7 - Qu’est-ce qui pourrait changer pour les clients et sociétaires ?

Si le divorce est confirmé, une chose est sûre : les clients verront le nom de leur banque changer d’ici 2020. Les statuts évolueront aussi. Des conséquences pour les parts sociales des sociétaires ? Difficile à dire à ce jour. Pour les clients, si la stratégie d’indépendance est validée, le code banque ne devrait pas changer, pas plus que l’IBAN, et la sortie du Crédit Mutuel ne devrait donc pas engendrer de mobilité bancaire.

Le groupe Arkéa s’expose-t-il à des risques financiers ? Dans son document d’information adressé aux administrateurs, Arkéa se veut logiquement rassurant en s’appuyant sur les résultats financiers « records » de l’année 2017. Et Arkéa rappelle ne jamais avoir eu recours au dispositif de solidarité nationale entre Crédits Mutuels. Sur ce point, les garde-fous (ACPR, BCE) sont si exigeants que le principal défi à relever pour Arkéa n’apparaît pas en termes financiers mais plutôt en matière d’image auprès du grand public.

8 - Quid du « Crédit Mutuel » en Bretagne et dans le Sud-Ouest ?

Tout dépend de l’issue du vote des prochaines semaines. Si toutes les caisses locales de Bretagne et du Sud-Ouest votent la sortie, alors les agences actuelles sortiront du giron Crédit Mutuel. En revanche, si certaines votent pour le maintien dans le groupe, elles devront se rattacher à une fédération Crédit Mutuel. En intégrant le CM11 ? Et récréant les fédérations Bretagne et Sud-Ouest ? Suspense. Mais le DG de la confédération national, Pascal Durand, se veut catégorique : « Quel que soit le résultat du vote, le Crédit Mutuel est une marque nationale qui doit être présente en Bretagne et dans le Sud-Ouest. » Des agences Crédit Mutuel pourraient donc ouvrir juste en face des agences fidèles à Arkéa. Tout comme Arkéa pourrait ouvrir des agences de sa nouvelle enseigne sur les territoires actuellement réservés au CM11, comme Paris ou Strasbourg. La guerre n’est pas terminée.