En France, la saison des résultats annuels des banques débute le 5 février. Si celles-ci ont globalement résisté à la crise en 2020, l’enjeu, pour elles, est de rassurer les investisseurs sur leur capacité à renouer durablement avec les profits, ce, malgré les taux bas et le spectre des faillites d’entreprises.

Cacher cette crise que je ne saurais voir ! Montrer leur capacité à résister à la pandémie du coronavirus et à rebondir dans les mois à venir : là est, en effet, tout l’enjeu pour les banques françaises qui s’apprêtent à dévoiler leurs résultats financiers 2020. Le 5 février, BNP Paribas sera ainsi la première à faire le grand saut. La semaine suivante, Société Générale, Banque Populaire-Caisse d’Epargne (BPCE) et le Crédit Agricole lui emboîteront le pas.

Des revenus attendus en forte chute

Sans risque de spoiler cet exercice imposé, il ne faut pas s’attendre à une année faste pour les banques. Activité commerciale en berne durant les confinements, moratoires sur les crédits, force vive concentrée sur l’octroi à prix coutant de prêts garantis par l’Etat, provisions en vue des non-remboursements à venir, déconvenue majeure pour BNP Paribas et surtout Société Générale, sur certains produits dérivés au premier semestre… Toutes ces mauvaises nouvelles vont peser sur les revenus des groupes bancaires.

Ainsi, les analystes s’attendent à ce que le produit net bancaire (PNB) de la Société Générale, l’équivalent du chiffre d’affaires, chute de plus de 10% en 2020 par rapport à 2019. Pour Natixis, filiale cotée en bourse de BPCE, ils tablent sur une plongée de 24% de ses revenus. Il faut dire qu’en 2020 cette banque de financement a non seulement été confrontée au ralentissement généralisé de l’activité économique, mais aussi aux déboires de sa filiale de gestion d’actifs H2O.

Le consensus est plus favorable pour BNP Paribas, du fait, notamment, de la bonne santé de sa banque de financement et d’investissement (BFI), qui fournit conseils et montages d’ingénierie financière à des grandes entreprises, des institutionnels voire à des particuliers très fortunés. C’est pourquoi les analystes s’attendent à un PNB plutôt stable pour BNP avec même des revenus sur ses activités de marché en hausse de 55%. « Malgré ses pépins début 2020 sur le marché des dérivés sur actions, BNP Paribas a connu une fin d’année très dynamique et a fait un tabac sur ses activités de taux, comme elle n’en fera certainement pas en 2021 », explique à MoneyVox un analyste financier spécialisé dans les valeurs bancaires.

La BFI à la rescousse de la banque de détail

« BNP Paribas a fait un tabac sur ses activités de taux ! »

La BFI est en effet une aubaine par temps de crise. Les investisseurs remodèlent leur portefeuille, passent des ordres, tentent de se couvrir contre la chute des marchés, les devises bougent rendant l’activité de change dynamique. Cette agitation est à l’origine de juteuses commissions pour les banques. Toutefois, cette activité de marché ne représente que 20% à 30% du PNB selon les établissements. C’est pourquoi, ces revenus, certes en hausse, vont difficilement combler les pertes en banque de détail, qui reste la source essentielle de chiffre d’affaires et de profits des groupes bancaires. Or, « on a vu au deuxième trimestre des baisses de 5% à 10% des revenus dans la banque de détail, ce, à cause de la baisse d’activité normale… Les PGE ne rapportant pas d’argent aux banques », rappelle l’un des financiers interrogés.

« Si on peut espérer que l’activité redémarre en 2021, il reste une inconnue, qui est combien d’entreprises vont faire faillite et quelle sera la note laissée aux banques. Il faut donc s’attendre à ce qu’elles aient, fin 2020, passé à nouveau des provisions pour défaut de paiement », explique à MoneyVox Stéphane Ceaux-Dutheil, analyste technique pour la plateforme de trading Alvexo. D’après le décompte réalisé à la fin de l’été par le cabinet Sia Partners, les 6 principales banques françaises détenaient 9,86 milliards d’euros en réserve à la fin du 1er semestre 2020, soit 2 fois plus qu’un an auparavant (1). Or, ces provisions étant déduites du chiffre d’affaires, elles empiètent, de fait, directement sur les bénéfices disponibles des banques. « Ça et la chute de la marge d’intérêt vont faire des dégâts dans les résultats annuels », pronostique Stéphane Ceaux-Dutheil.

En effet, la marge d’intérêt – c’est-à-dire l’écart entre le taux auquel la banque se refinance et le taux d’emprunt octroyé à ses clients – pâtit du contexte de taux bas, provoqué par les injections de liquidités de la Banque centrale européenne qui sont reparties de plus belle depuis la crise du coronavirus. Or, la marge sur les taux représente 55% à 60% des revenus des banques de détail. Le reste des gains venant des commissions (frais bancaires, de dossier et autres commissions fixes ou forfaitaires appliquées aux clients). Rappelons toutefois qu’une étude de la Banque de France sortie fin 2020 montrait que la marge d’intérêt des établissements français s’était peu dégradée au regard de leurs homologues italiens ou allemands. Entre 2015 et 2019, elle s’est ainsi repliée de seulement 1,5% pour les banques hexagonales, contre une baisse dépassant 5% en Allemagne et 10% en Italie (2).

Coût du risque, plans d’économies et dividendes scrutés par les investisseurs

« Les banques ne vont pas commencer à fanfaronner sur les dividendes »

Pour doper la rentabilité de leur banque de détail, leur direction a déployé ces dernières années une stratégie en deux actes. Acte 1 : augmenter les revenus tirés des commissions pour se désensibiliser des taux bas. Acte 2 : faire des économies sur les réseaux. A l’occasion de la publication des résultats annuels, de nouvelles décisions allant dans ce sens seront scrutées par les investisseurs et les analystes.

Toutefois, plusieurs banques ont agi en amont, à l’image de BNP Paribas. Côté commissions, on sait déjà que la banque d’un monde qui change va commencer à déployer son conseiller personnel payant. Côté économies, BNP prévoit notamment de supprimer 300 postes de chargés de clientèle à l’horizon 2022, a récemment appris MoneyVox. Une stratégie qui n’est pas l’apanage de BNP Paribas. En effet, à l’automne dernier, sa concurrente Société Générale a, quant à elle, annoncé la fusion de son réseau avec celui du Crédit du Nord dans le but, notamment, d’économiser plusieurs centaines de milliers d’euros par an. Il y a quelques jours, on apprenait également que Natixis avait débuté un plan de départ volontaire portant sur 245 postes basés en France.

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S’il est donc peu probable que les banques surprennent les marchés en annonçant de nouvelles restructurations, les analystes attendent avec impatience que les banques donnent des prévisions sur leurs activités en 2021, et notamment sur leur coût du risque. C’est-à-dire sur les pertes jugées plausibles les obligeant à constituer des provisions. « Pour 2020, Crédit Agricole n’avait pas donné d’objectif sur son coût du risque. BNP, non plus. Seule Société Générale avait dit viser un coût du risque de 70 points de base, ce qu’elle fera certainement. Ce sera donc intéressant de voir comment les banques évaluent leur coût du risque pour 2021, ce, comme toutes les indications qu’elles donneront aux investisseurs », poursuit l’un des analystes contactés par MoneyVox.

Cruciale pour les actionnaires, la question du retour des dividendes sera aussi surveillée de près. Pour rappel, tout en appelant les banques à la modération, la BCE les a autorisées à reverser, jusqu’au 30 septembre 2021, au maximum 15% de leurs bénéfices de 2019 et 2020. « Vu que l’horizon reste embrumé, les banques ne vont pas commencer à fanfaronner sur leur capacité à verser des dividendes. Leur position sera intéressante mais je doute qu’elles fassent des plans sur la comète », anticipe un analyste spécialiste des banques. Stéphane Ceaux-Dutheil concède également que « compte tenu des résultats maussades pour 2020, ce ne serait pas très politiquement correct de verser du dividende. Après la finance reste la finance », modère-t-il.

En résumé, que faut-il attendre des résultats des banques ?

  • En France, la saison des résultats annuels des banques va débuter le 5 février avec BNP Paribas. Les autres banques suivront au cours du mois.
  • En 2020, les établissements bancaires vont vraisemblablement limiter la casse grâce à leur activité de marché. Les investisseurs institutionnels ayant multiplié les ordres pour couvrir et réorienter leurs portefeuilles, les commissions versées aux banques s’en sont trouvées dopées.
  • Les commissions boursières facturées aux particuliers vont aussi tirer les recettes vers le haut. D’après l’Autorité des marchés financiers, 400 000 investisseurs ont l’an dernier débuté ou repris l’achat d’actions cotées à la bourse de Paris. Il n’empêche que, dans l'ensemble, les résultats s’agissant de la banque de détail sont attendus en berne.
  • Les banques vont devoir jouer les équilibristes, en montrant leur résilience face à la crise et leur capacité à renouer avec la rentabilité, malgré le risque accru de non-remboursement des prêts accordés. Ce risque pourrait se matérialiser en 2021 ou en 2022. Les provisions passées pour couvrir ces pertes potentielles sont un indicateur primordial pour juger de la confiance réelle des banques face aux conséquences économiques de la pandémie.
  • Si les actionnaires attendent avec impatience l’annonce d’un déblocage éventuel des dividendes, gelés depuis le printemps 2020, ces versements, s’ils sont actés, resteront contraints au moins jusqu’à fin septembre 2021.

(1) Insight coût du risque (août 2020). Etude de Sia Partners prenant en compte BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole SA, BPCE, Crédit Mutuel Alliance Fédérale, la Banque Postale.

(2) « Les banques de 2008 à 2019 : un résultat net influencé par une baisse des marges d’intermédiation mais de moindres provisions ». Bulletin de la Banque de France de novembre-décembre 2020.