Troquer l'actuelle réduction d'impôt pour frais d'hébergement des personnes dépendantes pour un crédit d'impôt ? Une mesure de « justice fiscale » adoptée par les députés, sans l'aval du gouvernement, dans le cadre du projet de loi de finances 2023. L'amendement va-t-il survivre au 49.3 ? Entretien avec Christine Pirès Beaune, députée PS à l'initiative de la mesure.

Christine Pirès Beaune, Députée du Puy-de-Dôme et membre de la commission des finances de l'Assemblée
Christine Pirès Beaune
Députée du Puy-de-Dôme et membre de la commission des finances de l'Assemblée
Christine Pirès-Beaune, l'idée de transformer la réduction Ehpad en un crédit d'impôt, c'est une mesure que vous portez depuis plusieurs années...

Christine Pirès-Beaune : « Oui, depuis que je suis rapporteure budgétaire “remboursements et dégrèvements” [au sein de la commission des finances de l'Assemblée, NLDR]. J'ai constaté que, d'un côté, on a un crédit d'impôt emploi à domicile, et de l'autre une réduction d'impôt pour les frais d'hébergement liés à la dépendance. »

Réduction Ehpad : l'actuel avantage fiscal

Il s'agit d'une réduction d'impôt de 25% des dépenses d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (en Ehpad ou résidence autonomie), dans la limite de 10 000 euros par personne hébergée, après déduction de l'APA (allocation personnalisée d'autonomie) des dépenses soumises à réduction. Environ 450 000 foyers déclarent chaque année de telles dépenses au fisc. Comme il s'agit d'une réduction d'impôt, l'avantage ne profite de fait qu'aux ménages qui paient l'impôt sur le revenu. Une réduction réduit l'impôt, seul un crédit peut entraîner le versement d'une somme au foyer fiscal, s'il n'est pas imposable.

Vous appuyez cette mesure notamment depuis le “rapport Libault”, rapport sur la concertation grand âge et autonomie remis au gouvernement en mars 2019 ?

Ch. P. B. : « Oui plus je défendais cette mesure, plus il y avait de voix pour le soutenir. J'ai même eu un accueil favorable de la part de Bercy quand Gérald Darmanin était ministre délégué aux Comptes publics. Il trouvait cette mesure juste, mais trop chère... »

« Pour les familles, ne pas retenir l'amendement ce serait les priver de quelque chose vu comme acquis ! »

Selon le rapport Libault, les résidents ne bénéficiant pas de la réduction d'impôt ont un reste à charge de « 1 363 euros pour des ressources atteignant en moyenne 916 euros par mois ». Et ce malgré les aides (APA, APL, ASH). La hauteur de ce reste à charge est l'argument qui légitime la transformation de réduction en crédit d'impôt ?

Ch. P. B. : « Je pense que l'importance de ce reste à charge s'est même aggravé depuis le rapport Libault. Avec la crise et l'inflation, en Ehpad, le coût des repas a augmenté, notamment. Et le point d'indice [des personnels travaillant en Ehpad, NDLR] a évolué. Donc je crains que les tarifs n'aient encore grimpé. Cet amendement va apporter un peu d'oxygène. »

Face au risque de 49-3, pensez-vous que le gouvernement pourrait revenir à une version antérieure du projet de loi de finances, avant l'intégration de ce nouveau coût ?

Ch. P. B. : « Les constitutionnalistes ne sont pas d'accord entre eux... Vu le coût, le gouvernement va être tenté de ne pas retenir cet amendement. Mais je dis attention ! Depuis hier [jeudi 13 octobre, cet entretien ayant été réalisé vendredi 14 octobre, NDLR], je vois des publications à ce sujet dans le réseau Ehpad. J'ai même reçu des messages de familles. Pour elles, ne pas retenir l'amendement ce serait les priver de quelque chose vu comme acquis ! »

Ehpad : l'Assemblée transforme la réduction en crédit d'impôt, contre l'avis du gouvernement

Constatez-vous en outre un non-recours à cet avantage fiscal ? MoneyVox a identifié cette réduction d'impôt parmi 5 avantages régulièrement “oubliés”. Transformer cette réduction en crédit limiterait-il ce non-recours ? Avez-vous des éléments concordants sur l'absence de déclaration de frais d'hébergement ?

Ch. P. B. : « Ça ne m'étonne pas. C'est comme pour les aides sociales. Le taux de non recours du chèque énergie est de 20% environ. C'est encore plus pour le RSA. En revanche, dans un logique d'équilibre, nous avons voté un amendement permettant de désigner l'activité réalisée pour l'attribution du crédit d'impôt emploi à domicile. Pour l'instant, on ne sait pas combien l'Etat verse pour des heures à promener le chien, par exemple. Il faut évaluer ! Si l'on identifie que des millions d'euros sont utilisés en crédit d'impôt pour le gardiennage de résidences secondaires, peut-être que l'on pourra équilibrer les dépenses de l'Etat... »

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Dans l'idée de lutter contre le non-recours à cet avantage fiscal, faudrait-il automatiser ce crédit d'impôt (s'il devient un crédit d'impôt) ?

Ch. P. B. : « Le chantier de la contemporanéisation des crédits d'impôt est en cours. C'est une bonne chose. J'imagine que cela pourra à terme s'appliquer aux dépenses en hébergement des personnes dépendantes. »

Un amendement porté par l'écologiste Christine Arrighi

La députée PS Christine Pirès-Beaune est clairement celle qui est à l'origine de cette mesure, puisqu'elle la porte depuis des années et a déposé un amendement à l'exposé très détaillé co-signé par l'intergroupe socialiste. La mesure proposée par la députée socialiste portait notamment une condition de plafond de ressources pour bénéficier du crédit d'impôt. Mais c'est finalement l'amendement de l'écologiste Christine Arrighi, plus simple, dans le sens où il transforme uniquement la réduction de 25% en un crédit d'impôt équivalent à 25% des dépenses d'hébergement, qui a été adopté, à la quasi unanimité (148 voix contre 137)... mais sans que les députés Renaissance ne participent au vote, et sans l'aval du gouvernement.

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