Fiscalité et pouvoir d'achat sont devenus des sujets explosifs... Le budget 2024 inspire les députés de tous bords : près de 4 000 amendements ont été déposés. Moins d'une centaine a été adoptée à ce jour par la commission des finances de l'Assemblée. Zoom sur 5 mesures fiscales qui ont réussi à faire consensus.

1 - Un barème de l'impôt sur le revenu gelé pour les plus riches... et plus favorable pour la classe moyenne

Pascal Lecamp, à la pointe de la révolution fiscale ? Mardi 10 octobre, les députés ont voté à la surprise générale un amendement audacieux de ce député et de ses collègues du groupe Modem. Et ce avec une esquisse d'applaudissements, preuve que son amendement a séduit au-delà de son simple groupe politique.

Plusieurs députés, y compris dans les rangs du parti présidentiel Renaissance, avaient présenté des amendements visant à différencier la revalorisation des seuils du barème de l'impôt sur le revenu. Le budget prévoit d'augmenter le barème de 4,8%, un rythme proche de l'inflation, afin d'éviter tout effet pervers : en bref si votre salaire augmente, votre impôt n'augmentera pas trop fortement.

Impôt 2024 sur les revenus 2023 - Barème indexé à 4,8%
Tranche de revenu par part fiscaleTaux applicable pour la tranche
Jusqu'à 11 294 €0%
De 11 295 € à 28 797 €11%
De 28 798 € à 82 341 €30%
De 82 342 € à 177 106 €41%
Plus de 177 106 €45%

Barème inscrit dans la loi de finances pour 2024.

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En revanche, tout gel du barème conduit à une hausse d'impôt. L'amendement défendu par Pascal Lecamp propose de geler les tranches des foyers les plus aisés, et de « sur-indexer » (en l'augmentant de 5,6%) la première tranche, celle qui touche les classes moyennes.

Résultat : cette mesure ferait baisser de 15 euros en moyenne l'impôt des « classes moyennes », ceux qui sont juste à la lisière de l'impôt sur le revenu, gagnant un peu trop d'argent pour être non imposable. Pour une hausse « très légère » de l'impôt des 10% de foyers les plus aisés. Impact budgétaire : environ 100 millions d'euros de bonus pour les finances publiques.

Quel sort pour cet amendement ?

Peu probable. Il a déjà fait consensus au sein de la commission des finances, laquelle rassemble toutes les sensibilités de l'Assemblée nationale. Rebelote dans l'Hémicycle, lors de l'examen par l'ensemble des députés ? Peut-être... Mais le gouvernement - qui répète à l'envi « pas de hausse d'impôt » - aura recours au 49.3 pour faire adopter son budget 2024. Ce qui lui laissera le loisir de sélectionner les amendements qu'il estime prioritaires.

Jean-René Cazeneuve, le rapporteur général Renaissance du budget 2024, a voté contre cet amendement : « Seuls 45% des foyers paient l'impôt sur le revenu. Nous avons indexé les seuils de manière à ce qu'il n'y ait pas de nouveaux entrants sur l'impôt sur le revenu. (...) Je rappelle que ceux qui ont des revenus sont déjà ceux qui paient le plus d'impôt. »

Impôt sur le revenu : et si le barème était gelé pour les plus riches ?

2 - Revenus fonciers : bientôt la flat tax à 30% ?

La révolution fiscale pour les loyers touchés par les propriétaires ? La fiscalité de la location meublée va évoluer, à coup sûr, afin de réduire l'attrait des loyers Airbnb (lire ci-dessous). Mais la fiscalité appliquée à la location de logements non meublés va-t-elle évoluer, elle aussi ?

Les députés Modem de la commission des finances, encore eux, ont réussi à faire voter - à l'initiative de leur chef de file Jean-Paul Mattei - un amendement dupliquant aux revenus fonciers le principe actuel de la « flat tax » à 30% (12,8% d'impôt sur le revenu + 17,2% de cotisations sociales), déjà appliqué aux intérêts et gains de votre épargne. En clair, avoir accès à un taux forfaitaire plutôt que d'être soumis au barème progressif (après abattement ou charges déduites) offrirait un avantage fiscal aux propriétaires tirant des revenus réguliers de leurs biens immobiliers mis en location.

Les conditions, pour profiter de la flat tax, si cet amendement survit aux débats budgétaires : « engagement de location du bien immobilier de plus d'un an, avec un encadrement des loyers et l'exigence d'un diagnostic de performance énergétique de catégorie D ».

Quel sort pour cet amendement ?

Peu probable. Malgré l'adoption de la mesure en commission, le rapporteur général du budget 2024 et voix de la majorité présidentielle en commission des finances, Jean-René Cazeneuve, s'est montré défavorable, de peur d'un impact négatif pour les finances de l'Etat.

L'an passé, une mesure similaire avait été adoptée au même stade des discusssions. Elle n'avait pas été retenue dans le texte retenu par le gouvernement en vue du 49.3. Bis repetita ?

3 - Un consensus se dessine sur la fiscalité « anti-Airbnb » ?

Face à la crise du logement, le gouvernement veut s'attaquer à la fiscalité de la location de meublés de tourisme classés, et notamment la fiscalité applicable aux revenus tirés via Airbnb dans les grandes villes. Mais Bercy a choisi de ne pas intégrer « sa » solution dans son texte initial, ouvrant la voie aux propositions des députés. De très nombreux amendements ont été déposés... et ce sont ceux du groupe Horizons - portées par Lise Magnier et Christophe Plassard - qui ont été votés en commission des finances, jeudi 12 octobre.

Les options retenues, à ce stade :

  • Refonte de la fiscalité de la location courte durée : abattement de 30% seulement des revenus locatifs pour la « location d'un bien immobilier meublé de courte durée » jusqu'à 15 000 euros, abattement de 40% pour une location - meublée ou non - de plus de 9 mois, et abattement de 60% pour les seuls « meublé de tourisme classé au moins 3 étoiles, gîte rural ou chambre d'hôtes ».
  • A la revente : réintégrer l'amortissement de la dégradation du bien pour la revente des biens loués non meublés, à long terme. La déduction des amortissements n'est à ce jour possible que pour les locations meublées.

Quel sort pour ces amendements ?

Adoption probable, sur les principes globaux, mais... des adaptations sont encore envisageables. Le ministre du Logement Patrice Vergriete a ainsi affiché le 7 octobre dans Le Monde sa volonté d'« aligner la fiscalité des meublés touristiques, des meublés traditionnels et des locations vides, avec un même abattement de 40% », au lieu de 50% actuellement pour les meublés et 71% pour les meublés touristiques.

4 - La réduction Ehpad enfin transformée en crédit d'impôt ?

Un constat : l'avantage fiscal actuel, une réduction d'impôt de 25% pour frais liés à l'hébergement de personnes âgées dépendantes, ne profite par définition qu'à ceux qui paient des impôts. Or, « 76% des résidents n'ont pas de revenus suffisants » pour payer leurs frais d'hébergement, rappelle la députée PS Christine Pirès Beaune.

Transformer la réduction en crédit d'impôt ? Voici une mesure qui avait fait consensus l'an passé en commission puis en séance plénière à l'Assemblée nationale... mais que le gouvernement n'avait pas retenu dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité via l'article 49.3 de la Constitution. En guise de lot de consolation, la députée PS Christine Pirès Beaune qui réclame de longue date la transformation de la réduction Ehpad en crédit d'impôt, a obtenu une mission. Une mission de 6 mois qui a conduit la députée à proposer à terme une « allocation universelle pour les résidents en Ehpad ».

« 76% des résidents n'ont pas de revenus suffisants » pour payer leur loyer en Ehpad

Sa proposition, version budget 2024 : transformer la réduction en un crédit d'impôt pendant 2 ans, délai nécessaire à son sens pour créer l'allocation universelle qu'elle appelle de ses vœux. Rebelote : la commission des finances et les députés de tous bords ou presque la soutiennent.

Quel sort pour ces amendements ?

Réel suspense. « Il y a une situation d'urgence que personne ne nie aujourd'hui » et une situation d'inégalité liée à la réduction d'impôt, reconnaît le rapporteur général Jean-René Cazeneuve, qui pense toutefois que « la réponse fiscale n'est pas appropriée », préférant un soutien budgétaire aux Ehpad. Mais malgré des divergeances sur la solution à terme, les députés Nupes, RN ou LR s'accordent sur cette mesure à court terme, seuls les députés Renaissance et Modem étant défavorables.

Crédit d'impôt Ehpad : une nouveauté appliquée en 2024 ?

5 - Un avantage fiscal pour les bénévoles associatifs

« Créer une réduction d'impôt sur le revenu pour les bénévoles qui s'investissent au sein d'une association » afin de « valoriser fiscalement l'action de tous ces bénévoles » : voici la proposition du député LR Ian Boucard. Sa réduction serait calculée sur le montant horaire du Smic et limitée à 1 000 euros par an.

A noter : dans un autre registre, un amendement porté par le député Horizons Jérémie Patrier-Leitus vise à transformer en crédit d'impôt la réduction actuelle des frais de déplacement des bénévoles en association.

Quel sort pour cet amendement ?

Peu probable. « Un crédit d'impôt pour les bénévoles, c'est un oxymore ! Où allons-nous nous arrêter ? » s'est emporté le rapporteur général Jean-René Cazeneuve, donnant le ton de la majorité présidentielle. Même votée, cette disposition a peu de chances d'être retenue par le gouvernement si le projet de loi doit passer par un 49.3.

Ces amendements qui sont déjà (quasi) assurés d'être retenus

Les mesures suivantes sont des amendements issus des rangs de la majorité présidentielle. Adoptées, ces mesures ont toutes les chances de figurer dans le texte final du budget 2024.

La réduction Sofica prolongée. C'est voté, sans surprise : le dispositif de réduction fiscal pour investissement dans l'industrie cinématographique et audiovisuelle devrait courir jusqu'en 2026.

Jusqu'à 1 000 euros de dons à 75%. Le plafond revu à la hausse depuis la crise sanitaire Covid-19 va se maintenir à 1 000 euros jusqu'en 2026.

Voitures « rétrofités ». Le rétrofit ? Convertir un véhicule thermique en électrique. Un amendement de Jean-Luc Fugit proroge la déduction fiscale jusqu'au 31 décembre 2030.

Dons aux associations féministes. Étendre aux « associations féministes » la réduction d'impôt de 66% pour dons aux œuvres : l'amendement de la députée Marie-Pierre Rixain a été adopté et figurera dans le texte final, puisque la Première ministre s'y est engagée en mars dernier.

Couple et prélèvement à la source. Cela fait partie d'un plan présenté par la Première ministre Elisabeth Borne en mars dernier : à partir de septembre 2025, le taux de prélèvement à la source au sein d'un couple sera le taux individualisé. Donc un taux différencié et proportionnel aux revenus de chaque membre du couple, plutôt qu'un même taux global.

Couple et impôts : comment changer votre taux de prélèvement sans attendre 2025

Et aussi...

Pêle-mêle, voici d'autres amendements adoptés en commission des finances. Survivront-ils au vote en séance plénière et surtout au 49.3 ?

  • Un rapport sur le Plan épargne avenir Climat avant juin 2025. Objectif de Michel Castellani et Charles de Courson : « évaluer le montant exact de la collecte » et donc juger de la pertinence (ou non) de ce nouveau placement.
  • Créer le principe d'un « impôt universel ciblé », y compris dans les « paradis fiscaux », « via un mécanisme de fiscalité limitée étendue, tel qu'il existe d'ores et déjà dans plusieurs pays européens » : une mesure proposée par les Insoumis et issue de la mission de l'Eric Coquerel et du Modem Jean-Paul Mattei.
  • Prolonger et renforcer en 2024 les aides aux transports domicile-travail : extension de la « prime de transport », cumul avec la prise en charge de 50% des frais d'abonnement par l'employeur, etc.
  • Porter le crédit d'impôt pour l'installation de bornes de recharge à domicile pour les particuliers de 300 à 500 euros.