TUC, pour travaux d'utilité collective. Un sigle bien connu de ceux qui entraient dans la vie active au cours des années 1980. Les autres générations l'ont découvert à l'occasion de la réforme des retraites. La loi porte, en effet, la revendication des « oubliés des TUC », ceux qui demandent la reconnaissance de ces TUC comme des périodes de travail... comptant pour la retraite. Mais ces nouveaux trimestres ne comptent qu'en partie pour les carrières longues. Explications avec deux membres de l'association « TUC, les oubliés de la retraite ».

Quels étaient ces travaux d'utilité collective, dits « TUC » ?

Yves Coussement, trésorier de l'association « TUC, les oubliés » : « Il s'agissait d'un programme gouvernemental pour que les jeunes se mettent au travail. Concrètement, nous étions le plus souvent engagés par de grandes collectivités ou associations. Nous étions payés 1 250 francs par mois pour 20 heures de travail par semaine [l'Etat finançait ce montant forfaitaire, équivalent d'un quart du Smic de l'époque, NDLR], ce qui correspond à 350 euros aujourd'hui [selon le convertisseur de l'Insee, en prenant en compte l'érosion monétaire en 40 ans, NDLR]. Sauf que la plupart des associations ont fait travailler les TUC normalement, sur des semaines complètes... Personnellement j'ai fait 39 heures par semaine et la paie était complétée en divers avantages. J'avais démissionné de mon poste pour être pris en TUC : à l'époque, j'étais embauché par une grosse association qui organisait des centres de vacances et classes vertes. Je gérais notamment un centre accueillant des classes de neige, en tant que directeur adjoint, avec un statut de jeune volontaire [statut pris en compte par la réforme des retraites dans les trimestres de la même manière que les TUC, NDLR] dans un premier temps, puis un statut de TUC. La plupart des adhérents de l'association ont fait 8 à 12 mois de TUC, J'en ai fait 8 mois. Nous en connaissons beaucoup qui ont travaillé à temps plein comme moi. »

« La plupart des adhérents de l'association ont fait 8 à 12 mois de TUC. Nous en connaissons beaucoup qui ont travaillé à temps plein comme moi. »

Franck Rougier, membre de l'association « TUC, les oubliés » : « C'était mon cas : un plein temps, payé à 1 250 francs. L'employeur était une association, un centre équestre. J'ai tenu le poste d'un enseignant d'éducation. »

Y.C. : « Le statut de TUC visait les 16-20 ans au départ. Puis face au succès, il s'est ouvert aux 20-25 ans censés ne pas avoir de formation ou être au chômage. On m'a demandé de ne pas déclarer ma formation et de me mettre au chômage pour être éligible... »

Le statut de jeunes volontaires était-il différent ? Rappelons que la réforme porte la reconnaissance - partielle, comme vous l'expliquez - des trimestres TUC mais aussi des trimestres de « jeunes volontaires ».

Y.C. : « Nous étions un peu mieux payés en tant que jeunes volontaires. Dans ce cas de figure, nous étions payés par un organisme d'Etat et les contrats étaient délégués aux associations. Mais le problème est le même que pour les TUC : il aurait fallu 13 mois d'activité pour valider les trimestres exercés en tant que jeunes volontaires. »

« C'était du travail ! »

F.R. : « Le problème, c'est que c'était du travail ! Monsieur Dussopt [Olivier Dussopt, ministre du travail, NDLR] reconnaît que c'était du travail... mais dans la loi, il ne reconnaissent pas ces périodes comme du travail à part entière. »

Quel est le problème de la réforme des retraites concernant les TUC ? Le gouvernement a pourtant annoncé que les travaux d'utilité collective allaient désormais compter pour la retraite. Et l'Assurance retraite a ouvert une plateforme pour vous permettre de déclarer ces périodes...

F.R. : « On nous donne droit à des trimestres assimilés ouvrant droit à la carrière longue... mais ils ne sont pas décomptés comme des trimestres réputés cotisés. Or, pour pouvoir partir à la retraite en anticipé, il faut non seulement avoir commencé à travailler tôt [sur ce point, la réforme compte les TUC] mais aussi avoir suffisamment de trimestres réputés cotisés [définition plus restreinte que les trimestres validés, NDLR]. En comptant les périodes de travaux d'utilité collective comme de simples trimestres assimilés, on ne nous permet pas de partir en anticipé. On attend pendant 40 ans que les TUC soient enfin reconnus comme du travail... et on ne nous donne que la moitié ! »

« On attend pendant 40 ans que les TUC soient enfin reconnus comme du travail... et on ne nous donne que la moitié ! »

Mi-janvier, suite à la présentation de la réforme des retraites, vous pensiez avoir gagné ?

Y.C. : « Si vous reprenez l'intervention du ministre du Travail sur BFM TV, j'ai demandé à Olivier Dussopt si ces trimestres allaient compter pour les carrières longues, il a répondu oui. Mais ils n'ont fait qu'un alinéa sur les deux qui auraient été nécessaires... Ils ont oublié les carrières longues ! »

« Ils ont oublié les carrières longues ! »

Vous avez tenté de faire rectifier le tir pendant les débats parlementaires...

F.R. : « Oui. D'autant qu'il y a eu une mission “flash” sur les droits à la retraite des bénéficiaires de TUC [menée par les députés Paul Christophe et Arthur Delaporte, NDLR]. Nous avons rapporté toutes les subtilités... Malheureusement, le décret était déjà en cours de rédaction et ils n'ont rien corrigé. »

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Vous a-t-on dit clairement que ces trimestres seraient assimilés et non réputés cotisés ? En clair, est-ce volontaire ? Ou serait-ce un « simple » oubli ?

Y.C. : « Soit ils sont incompétents, soit ils sont malhonnêtes. Dans tous les cas, pour nous, cela fait mal... »

F.R. : « Dans l'association, certains ne peuvent partir en départ anticipé qu'un mois avant le nouvel âge légal... Si leurs trimestres de TUC étaient réputés cotisés, ce serait 13 mois avant ! »

« Certains ne peuvent partir en départ anticipé qu'un mois avant le nouvel âge légal... Si leurs trimestres de TUC étaient réputés cotisés, ce serait 13 mois avant ! »

Vous avez lancé une action en justice. Votre objectif, c'est de faire modifier le décret ?

Y.C. : « Oui. Notre démarche vise à attaquer un décret qui n'est pas en phase avec l'esprit de la loi. Puisque la loi était censée reconnaître pleinement ces trimestres comme des périodes travaillées vis-à-vis des droits à la retraite. Les carrières longues concernent plus de 40% de nos adhérents [soit 1 200 adhérents, pour 5 000 abonnés au groupe TUC, les oubliés sur Facebook, NDLR] ! Et n'oublions pas que les TUC, ce sont 1,5 million de personnes ! [même près de 1,7 million, entre 1984 et 1990, selon le ministère du Travail, NDLR] »

« Les montants en jeu sont disproportionnés par rapport au mécontentement généré »

F.R : « A l'occasion de leur mission flash, les députés ont cherché à estimer le nombre de personnes concernées, et le coût pour la collectivité. Or, les anciens TUC vont devoir aller vers la Cnav [ou Carsat, l'Assurance retraite, NDLR] dire “bonjour, j'ai été TUC”. Et, de toute façon, nombre d'entre eux n'ont pas les documents... Si, au maximum, 10% à 15% d'anciens TUC parviennent à faire valoir leurs droits, ce sera déjà un bon score... In fine, le coût pour la collectivité resterait limité. Les montants en jeu sont disproportionnés par rapport au mécontentement généré. »

Pour l'heure, l'Assurance retraite vous appelle à déclarer ces périodes, même en l'absence de justificatifs... Quels documents pourraient permettre de remplacer des bulletins de paie ?

Y.C. : « Nous avons fait une liste des documents pouvant prouver l'existence de TUC : cela va du relevé bancaire à une simple attestation, des témoignages certifiés de personnes vous ayant côtoyé lors de cette activité... La plupart de nos adhérents nous disent soit que la mairie les ayant embauchés n'a plus les papiers, soit que l'association n'existe plus, soit qu'ils ont disparu lors d'un incendie, quand ce n'est pas une simple perte... Quand nous étions jeunes, à 16 ou 17 ans, beaucoup d'entre nous ne pensaient pas à conserver ces papiers. »

« Notre objectif n'est pas d'aller en justice »

Votre seul espoir, c'est que votre action en justice aboutisse ? Ou espérez-vous encore un texte réglementaire rectifiant cet « oubli » ?

Y.C. : « Je préfèrerais que ce soit une erreur. Oui, je préfèrerais une “simple” correction. »

F.R. : « L'autre issue envisageable, c'est une proposition de loi portée par un ou une députée, rectifiant le tir en catégorisant ces périodes comme des trimestres réputés cotisés.. Là encore, ce serait plus simple. Nous, notre objectif n'est pas d'aller en justice. »

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