Contrairement au Livret A, le Livret d'épargne populaire (LEP), destiné aux ménages modestes, peut être transféré d'une banque à l'autre. Sans perte d'intérêts, mais également moyennant finances : de nombreuses banques facturent, jusqu'à 160 euros, ce transfert. Un peu cher pour une opération qui, par ailleurs, n'a rien d'obligatoire.

Livret A, LDDS, LEP : le trio magique de l'épargne réglementée. Les trois livrets connaissent actuellement un petit âge d'or, avec des collectes records chaque année. Le Livret d'épargne populaire, en particulier, connaît un énorme regain d'intérêt. En 3 ans, sa collecte nette est passé du rouge (-1,48 Mds€ en 2021) au vert (+8,28 Mds€ en 2022) et même au vert foncé (+20,67 Mds€ en 2023). Une croissance impressionnante, alimentée par un taux d'intérêt imbattable (5% net actuellement, après un pic à 6,1% début 2023) et une hausse du plafond de versement (de 7 700 à 10 000 euros depuis le 1er octobre 2023). En résumé, les Français ont redécouvert les vertus du LEP.

Le LEP, un produit à part

Dans la famille de l'épargne réglementée, le LEP a une place à part. Créé en 1982 - à peu près en même temps que le Codevi, ancêtre du LDDS - le produit a une mission : inciter les classes populaires à épargner. « Le LEP nait au début des années 1980, dans un contexte marqué par une très forte baisse de l'épargne, au profit de la consommation, et par une forte inflation », rappelle l'économiste Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'Epargne. « Encourager les ménages à épargner, cela visait donc à refroidir l'économie ».

Cette vocation particulière explique pourquoi le LEP, contrairement au Livret A et au LEP, n'est pas ouvert à tous, mais uniquement aux foyers peu ou pas fiscalisés. Pourquoi, également, le produit bénéficie d'une rémunération aussi attractive. La promesse, en effet, est la suivante : si vous y placez votre argent, il sera protégé de la hausse des prix. Pour la remplir, le taux du LEP est conçu pour s'aligner, au pire, sur l'inflation.

Voici le seul livret qui vous protègera de l'inflation en 2024 (et ce n'est pas le Livret A)

Transfert possible... mais payant

Le LEP a une autre spécificité : lorsqu'on change de banque, il est possible d'en demander le transfert, alors que c'est impossible pour le Livret A et le LDDS.

Comment ? Nous avons posé la question à La Banque Postale, l'enseigne, sans doute, qui détient le plus grand nombre de LEP en France. C'est « la banque destinataire du LEP à transférer [qui] initie une demande avec le client demandeur auprès de la banque qui détient le compte ».

Cette dernière ne peut pas refuser de donner suite à cette demande, « qui relève d'une obligation réglementaire ». Rien ne lui interdit, en revanche, de facturer l'opération.

Transfert de LEP : jusqu'à 160 euros de frais !

MoneyVox s'est plongé dans les brochures tarifaires des 112 banques distribuant le LEP (1). Un petit tiers dispose d'une ligne tarifaire dédiée au transfert de LEP. Parmi elles, seules trois (la Banque Populaire Méditerranée, les Crédits Agricoles Anjou-Maine et Guadeloupe) offrent le service.

Chez les autres, son coût moyen est de 105 euros, avec des pointes à 150 euros ou plus (Banque Chalus, Banques Populaire Aquitaine Centre Atlantique, Caisse d'Epargne Aquitaine Poitou-Charentes, Crédit Agricole Centre France). Si l'on ajoute à la liste les banques qui ne mentionnent pas spécifiquement le LEP mais prévoient un prix pour le transfert des « livrets et assimilés », cette moyenne monte à 106,20 euros.

Chez certaines, cette facturation est récente. Dans une vingtaine de banques, elle apparaît, de façon assez opportuniste, à partir de 2021, lorsque les pouvoirs publics décident de ressusciter le LEP grâce à une active promotion.

Les autres ? 40% des banques distribuant le LEP n'indiquent aucun prix, ni pour le transfert de LEP, ni pour celui des livrets en général. Ce qui, en principe, leur interdit de faire payer cette prestation.

Comme souvent pour ce type d'opération facturée de manière non récurrente, on peine à comprendre les énormes écarts de prix entre les enseignes : pourquoi un service fourni gratuitement chez l'une est facturée 160 euros chez l'autre ? Pourquoi au sein d'un même réseau comme le Crédit Agricole, son prix peut aller de 0 chez Anjou-Maine à 150 euros chez Centre France ?

Le prix du transfert est-il justifié ?

106,20 euros donc. Une somme non négligeable pour un produit visant spécifiquement la partie la moins fortunée de la population. Son prix moyen est ainsi légèrement supérieur à celui d'un transfert de Plan Epargne Logement (PEL), facturé 102,05 euros en moyenne. « Ces frais sont nécessaires au financement des charges de traitement de l'opération », justifie La Banque Postale, sans plus de précisions. Cette dernière fait payer 55 euros le transfert de LEP, en dessous de la moyenne donc.

Aurélien Soustre, ancien cadre commercial en banque de détail et membre du Comité consultatif du secteur financier (CCSF), n'est pas tout à fait de cet avis : « Je trouve cette tarification exagérée, compte tenu de la population cible. Ce niveau de prix est stratégiquement étonnant, car on pourrait penser que les banques auraient tout intérêt à laisser filer facilement à la concurrence une épargne qu'elles rémunèrent à un niveau de taux fixé réglementairement. A moins que ce ne soit une stratégie plus globale pour freiner la mobilité bancaire. »

De fait, les frais appliqués aux transferts de produits d'épargne (LEP, PEL, CEL, PEP, PEA, etc.) sont dénoncés de longue date par les associations de consommateurs comme une entrave au changement de banque, et donc à la concurrence entre les enseignes.

Le transfert des produits d'épargne, principal frein au changement de banque

Fermer puis rouvrir ailleurs ? Deux inconvénients majeurs

Il existe bien sûr une solution simple pour transférer son argent en évitant de payer ces frais : clôturer son LEP dans la banque A (c'est gratuit) et en ouvrir un nouveau dans la banque B.

Elle a deux inconvénients. Un : l'opération vous fait perdre au moins une quinzaine d'intérêts, le temps que le nouveau LEP soit ouvert. Deux : si votre solde a grossi au fil des années, jusqu'à dépasser le plafond de 10 000 euros grâce aux gains capitalisés, vous ne pourrez pas le reverser intégralement sur le nouveau compte, puisque vous serez bloqué par le plafond de versement de 10 000 euros. Or, fin 2022, le solde de plus de 70% des LEP dépassaient le plafond de versement, à l'époque de 7 700 euros.

Résultat : du strict point de vue arithmétique, payer pour le transfert peut s'avérer intéressant. Cette opération, en effet, permet de transférer l'intégralité du solde, y compris la partie qui dépasse le plafond de versement. Et cela fait vite une grosse différence. Exemple : au taux actuel de 5%, un LEP nanti de 10 000 euros rapporte 500 euros d'intérêts par an. Le même LEP, mais avec un solde de 12 000 euros, en rapporte 600. De quoi amortir rapidement les frais facturés par sa banque d'origine.

Le transfert n'est pas obligatoire

Il existe toutefois une troisième voie, la plus intéressante financièrement : ne pas transférer votre LEP, même en cas de changement de banque principale ! Il faut le rappeler : rien ne vous oblige à détenir votre compte courant et votre LEP dans la même banque.

Même sans compte courant, vous avez le droit d'alimenter votre LEP, et d'en retirer de l'argent au guichet de la banque, mais aussi à distance, par virement. Il n'y a qu'une condition à respecter : que le compte d'origine soit un compte courant (pas un compte épargne) et que vous en soyez le titulaire. Un droit qui, face à la mauvaise volonté de certaines banques, a été réaffirmé en novembre 2022 dans un arrêté publié par le ministère de l'Économie.

Livret A, LEP, livret bancaire... Cette limite que votre banque ne peut plus vous imposer

(1) Etude tarifaire sur la base des prix affichés au 1er janvier 2024