L'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence devait faire le bonheur du consommateur. 15 ans plus tard, la facture annuelle n'a jamais été aussi haute et les offres de marché ne parviennent ni à se démarquer, ni à séduire.

Cette phrase est devenue une routine dont seuls le pourcentage et la date changent : les prix des tarifs réglementés de vente de l'électricité ont augmenté de 1,6% au 1er février 2021. Une mauvaise nouvelle qui impacte directement les 23 millions de ménages toujours abonnés aux tarifs bleus et indirectement les 10 millions ayant souscrit à une offre de marché. Total de l'opération ? Près de 50 euros, puisque plusieurs hausses de taxes locales vont aussi alourdir la note en 2021. A qui la faute ?

Pourquoi les factures ont-elles augmenté ?

Réévalués deux fois par an, en février et en août, les tarifs réglementés n'ont baissé que deux fois (- 0,5% en août 2016 et 2018), depuis 2007 et l'ouverture à la concurence du marché de l'électricité. Pour un client en forfait Base le kilowattheure coûtait 0,1140 euros en juillet 2007 au tarif bleu. En février 2021, il est facturé à 0,1582 euros. Soit un écart de 106 euros pour une consommation annuelle de 2 400 kwh (le profil moyen retenu par la Cmission de régulation de l'énergie). Et cette hausse ne concerne que le « coût de fourniture », soit le prix de l’électricité et de l'entretien (très cher) des centrales nucléaires. Celui-ci ne représente qu'un tiers de la facture globale.

Il faut ensuite ajouter deux éléments qui ont aussi augmenté depuis 15 ans :

  • Le coût de réseau (généralement résumé par la mention « abonnement »). Chez EDF, il est passé, pour une puissance de 9kVA, de 121,09 euros TTC à 152,04 euros TTC. Cette somme comprend les redevances locales et la distribution pour la France.
  • La fiscalité (TVA notamment). Les taxes pèsent pour 37% de la facture globale en 2021. Ce pourcentage était de 25% en 2010.

Selon l’Insee (1), le prix à la consommation, ou indice des prix de l'électricité, est en hausse de 60,36% en France sur la période 2007/2020. Et quand le tarif bleu flambe, tout le monde trinque puisque les prix d’une grande partie des offres de marché proposées par EDF ou des fournisseurs alternatifs, sont indexés sur les tarifs réglementés.

Au total, selon la CRE, la facture annuelle pour un abonnement (puissance 6kVA) est passée de 319 euros en 2006 à 501 euros en 2020, pour un client type Base qui consomme 2 400 Kwh/an. Néanmoins, selon EDF, en moyenne, la facture d'électricité des Français se situe plutôt autour de 834,02 euros par an. De même, en 2020, un foyer sous contrat Heures pleines/heures creuses (contrat contesté par les associations de consommateurs), consommait 8 500 Kwh/ an et payait 1 522 euros annuels.

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Des taxes vertes qui pèsent lourd ?

À compter du 1er août prochain, le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE), payé par les consommateurs pour l’utilisation des réseaux de transport et de distribution d’électricité, va augmenter de 15 euros en moyenne pour faire face aux travaux nécessaires dans le cadre de la transition énergétique. Le TURPE représente un tiers environ de la facture finale TTC d'électricité pour un consommateur.

Autre situation, la Contribution au service public de l’électricité (CSPE) compte pour 12% de la facture total et a augmenté sans cesse depuis 2007. La CSPE servait à l’origine à financer les énergies renouvelables. Depuis 2017 elle est reversée directement au budget général de l’État. A plusieurs reprises, la Cour des comptes a dénoncé le poids de ces taxes imputées au consommateur.

Le marché de l’électricité tourne-t-il rond ?

Un observateur avisé du secteur assure à MoneyVox que la libéralisation du marché n’est pas responsable des factures de 2021. Il rappelle que la gestion du réseau et les taxes représentent 70% de la facture totale. Pour autant, tout ne fonctionne pas à la perfection. Longtemps, la Commission européenne a enjoint la France d'empêcher EDF de revendre à perte pour s'assurer un monopole.

De ces récriminations est né l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique ou Arenh. Il garantit aux fournisseurs alternatifs 100 Twh par an de la production nucléaire d’EDF contre un prix fixe de 42 euros le MW/h. Un plafond, jamais atteint avant 2017, et un prix fixe qui crispent désormais les acteurs. Ainsi, lors du confinement du printemps 2020, le prix du MW/h était descendu à 21 euros, poussant les fournisseurs à saisir le Conseil d’Etat, sans succès, pour dénoncer leur contrat.

Le principe des tarifs réglementés est ainsi accusé de ne laisser aucune marge aux 33 fournisseurs alternatifs du marché français.

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Les offres de marché ont-elles les moyens de casser les prix ?

Un Français économise 44 euros par an lorsqu’il change de fournisseur (2). C'est une économie moyenne de 5% sur la facture. Un gain faible qui explique l'engouement limité pour les offres de marché en France. Pour contrer cette tendance, en juillet 2012, la CRE avait demandé que la hausse des tarifs réglementés puisse permettre aux fournisseurs alternatifs de proposer des offres de marché moins chères, sans vendre à perte.

Sans succès selon le directeur général de la CLCV François Carlier, qui a saisi l'Autorité de la concurrence sur le sujet. « EDF utilise les centrales nucléaires et centralise, via Enedis et RTE, la distribution de l’électricité, la concurrence est donc impossible, pointe-t-il. Selon la loi Nome de 2001, les fournisseurs devaient disposer de leurs infrastructures en 2025 et rien n’a été fait. On augmente les tarifs pour faire vivre une concurrence qui n'existe pas. Contrairement à la téléphonie ou au marché aérien avec les compagnies low cost, il n’y a pas de rupture technologique possible avec l’électricité ». Et donc peu d’argent à gagner pou attirer un Free ou un Ryanair.

« C'est un marché qui n'a rien à voir, où les coûts sont variables, explique Vincent Maillard, co-fondateur et président de Plüm énergie. Il ne peut pas être uniquement question du prix quand on parle de l'énergie. » En février 2021, MoneyVox a dénombré une dizaine d’offres de marché plus avantageuses que les tarifs bleus d’EDF mais pour des gains annuels assez limités. « C’est un pari raté, juge François Carlier. Mais cet échec n’est pas imputable aux fournisseurs, ils n’ont simplement pas eu les moyens de s’imposer ».

Dans une tribune publiée par Les Echos en février 2020, le spécialiste de l’énergie Olivier Durin se montrait aussi sceptique, au-delà même de la question du prix : si « 9 Français sur 10 ont conscience que le marché est libéralisé et 87% ont connaissance du droit au changement de fournisseur (...) Leur confiance à l’égard de ce secteur diminue inexorablement depuis plusieurs années : seuls 60% des Français sont aujourd’hui favorables à un marché de l’énergie libéralisé » contre 70% il y a 5 ans.

Face à ce mur, les fournisseurs alternatifs ont pu user de méthodes commerciales douteuses comme le démarchage agressif. En 2018, le Médiateur de l’énergie a été saisi près de 17 000 fois et une loi encadre désormais la pratique. Un constat qui incite plusieurs « petits acteurs » du secteur à réclamer à la CRE un classement qui ne se base pas uniquement sur le prix, jugé aveuglant.

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Quelle(s) solution(s) pour les fournisseurs alternatifs ?

Que faire si on ne peut pas baisser le prix ? Pour être rentables, les fournisseurs alternatifs ont souvent réduit à peau de chagrin leur service client, à la manière des offres low cost de plusieurs secteurs. Ils ont aussi tenté de multiplier des offres spéciales : un prix de kilowatteur fixe (soit un tiers du prix environ) pour 12, 24 ou 36 mois ou une production d’électricité plus verte. Interrogé par MoneyVox, François Carlier craint une simple stratégie marketing pour convaincre des clients de sauter le pas malgré la création par Bruxelles d'une garantie d’origine renouvelable (GO) de l'électricité.

Les fournisseurs alternatifs partagent aussi un autre créneau avec EDF : le conseil. « Nous voulons conseiller à nos clients la meilleure option tarifaire possible mais aussi qu'ils consomment mieux et moins », explique Vincent Maillard, qui promet « une production verte, locale et 10% d’économies » en moyenne. Plüm énergie popose ainsi une cagnotte à ses clients où leur versant des bonus en euros s'ils ont réalisés des économies d'énergie.

Tous détaillent par le menu comment réaliser des travaux de rénovation énergétique à son domicile ou comment abaisser sa facture en modifiant ses habitudes de consommation (réduire la température la nuit, éteindre ses appareils électriques…). Un point de vue que partage un ancien responsable de la CRE interrogé par MoneyVox : « Pour proposer de meilleures offres, il faudra connaître dans le détail la consommation des ménages : quantité évidemment mais aussi horaire et usage (lumière ou machine à laver par exemple). » A la manière du controversé compteur Linky qui permet de ne payer que ce que l'on consomme, ce modèle doit déboucher sur des propositions commerciales attractives et adaptées à chaque client.

Une manière aussi pour EDF, les fournisseurs aletrnatifs et les pouvoirs publics de rejeter la responsabilité finale du coût... sur le consommateur.

La précarité énergétique touche plus d'1 Français sur 10

Près de 12% des Français (11,9%, en baisse de 0,2% par rapport à 2018) ont connu des difficultés à payer leurs factures d’énergie en 2019 et au moins 3,5 millions de ménages se trouvent en situation de précarité énergétique, selon l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE). Ces chiffres sont basés sur la part des dépenses d’énergie dans le revenu du ménage. Quand ce taux atteint 8%, le ménage est considéré comme précaire. En 2019, 671 546 ménages ont vu l’intervention d’un fournisseur d’énergie pour cause d’impayés (+ 17% par rapport à 2018), selon les statistiques du Médiateur de l'énergie.

(1) « Les dépenses des Français en électricité depuis 1960 », INSEE, avril 2019

(2) 22e édition de l'Observatoire mondial des marchés de l'énergie (WEMO), publié par Capgemini