Longtemps fer de lance de l'assurance vie, le fonds euros de l'Afer, principale association d'épargnants, semble marquer le pas. Avec un rendement à 2,01%, il s'éloigne des sommets, de quoi poser question à certains adhérents. S'il concède un « essoufflement », Gérard Bekerman, président de l'Afer, annonce un nouvel horizon : un grand remodelage du fonds euros, avec plus de privé... et plus de responsable !

Gérard Bekerman, Président de l'Afer
Gérard Bekerman
Président de l'Afer
Le fonds euros Afer livre pour 2022 un taux de 2,01%, en hausse de 31 points de base. Gérard Bekerman, en tant que président, comment jugez-vous votre performance ?

Gérard Bekerman : « Je pense que c'est un taux convenable. Une fois de plus, on se situe vraisemblablement dans le haut du marché, même si nous ne brillons pas en étant le meilleur. Les investissements réalisés les années passées ont apporté des rendements conformes à ce que nous attendions. Malgré tout, par rapport à l'inflation qui a redémarré, les taux ne permettent pas d'assurer un pouvoir d'achat suffisant de l'assurance vie. Nous ferons, je l'espère, encore mieux l'année prochaine. »

À cause de l'inflation, pour la première fois, les livrets règlementés dépassent les fonds euros. Cela change la donne pour les investisseurs ?

G.B. : « La comparaison n'est pas vraiment appropriée. Les deux produits d'épargne ne sont pas vraiment concurrents, mais complémentaires. Nous espérons bien que les titulaires d'un contrat d'assurance vie détiennent aussi des livrets ! Ce n'est pas l'un ou l'autre, mais l'un et l'autre, car ils n'ont pas la même vocation. L'assurance vie n'est pas plafonnée. Elle reste un outil patrimonial d'excellence, surtout pour les successions. Tandis qu'un livret est un produit de court terme. »

« On ne va pas faire du Madoff, de fausses promesses. Nous ne sommes pas dans la dynamique commerciale de tirer sur l'élastique pour avoir le meilleur taux »

Vous êtes la principale association d'épargnants, avec 753 137 adhérents. Comprenez-vous la déception de certains face aux taux annoncés ailleurs ?

G.B. : « Je peux les comprendre. D'un autre côté, est-ce qu'il fallait vraiment briller sur le taux ? À l'Afer, nous n'avons pas une conception annuelle, mais plutôt une vision dans la durée. Depuis 2007, la moyenne de rémunération de notre fonds garanti ressort à 3,43%. Un épargnant ne vient pas à l'Afer pour un aller-retour, ni pour un an. La durée moyenne de détention de nos contrats, c'est 19,6 années. Ce serait très intéressant de faire le calcul pour déterminer les contrats plus performants au cours des 20 dernières années. Je crois que nous serions bien placés ! »

Assurance vie : tous les taux 2022, du meilleur au pire

Certains annoncent des taux qui doublent. Forcément, quand l'Afer gagne 30 points, cela semble peu...

G.B. : « On ne va pas faire du Madoff, de fausses promesses. Nous ne sommes pas dans la dynamique commerciale de tirer sur l'élastique pour avoir le meilleur taux. Le marché est un exemple qu'il faut battre, comme on l'a toujours battu depuis 1976. On aurait pu prendre davantage sur nos réserves, mais on s'est limités au statutaire en réintégrant ce qui avait été mis en provision il y a 6 ans. Je crois que c'est un phénomène de dimension. On n'est plus les premiers. Mais quand on l'a été, pendant des années, nous ne nous mesurions pas aux autres. On n'a jamais été dans un schéma de concurrence de marché. On n'est pas dans le marché, d'ailleurs. On est une association à but non lucratif. »

Certes, mais d'autres associations, comme Gaipare (2,20%) ou même l'Agipi (2,05%), font mieux que l'Afer. Les épargnants regardent forcément le rendement annuel.

G.B. : « Un proverbe chinois dit : “à quoi sert une boussole si on ne sait pas où aller”. L'Afer a une vision, une stratégie. Un plan. Je comprends la déception de certains, bien sûr. Mais il faut voir dans la durée. La qualité d'une association ne dépend pas que du taux. Nous avons un ADN, une philosophie propre en matière de démocratie financière. Je ne suis pas sûr que ce soit respecté ailleurs. Doper le taux des nouveaux arrivants, ce n'est pas notre manière de faire. Nous ne discriminons pas : jeune ou âgé, fortuné ou modeste, ancien ou nouveau, tout le monde a le même rendement. »

Votre marge est limitée : vous avez pioché cette année 94 millions d'euros dans votre réserve. Il vous reste donc 326 millions de provision pour participation aux bénéfices (PPB), soit 0,81% de rendements en stock...

G.B. : « On a longtemps eu une philosophie de redistribution à 100% des bénéfices. Avec la PPB, on l'a quelque peu entamée, mais notre stratégie ne sera jamais de provisionner massivement. Il faut tenir compte de la pyramide des âges. À l'Afer, même si l'âge moyen de nos épargnants est de 58 ans, il y a un grand nombre de personnes âgées qui ont adhéré à nos débuts, à la fin des années 70. On a 460 centenaires : on ne va pas dire à ces personnes d'attendre 6 ans pour leur donner leur PPB ! Difficile, au regard de cette situation, de trop utiliser ce levier. En cela, nous sommes différents. »

« L'Afer se bat souvent seule pour tout le monde »

Votre fonds a longtemps été au sommet. Depuis quelques années, ce n'est plus le cas. L'Afer rentre dans le rang ?

G.B. : « Je ne tirerais pas cette conclusion. L'Afer fera tout pour redevenir ce qu'elle a été dans le passé. On va juger l'Afer dans la durée, mais aussi pour notre qualité de service, le sentiment associatif fort. Et n'oublions pas le combat juridique. L'Afer se bat souvent seule pour tout le monde. Elle mène le combat politique, auprès de l'Assemblée et l'exécutif, pour préserver le statut juridique, fiscal et social de l'assurance vie. »

Et pour le combat du taux, l'Afer compte réagir ?

G.B. : « Certains adhérents se plaignent que l'on ne soit pas le meilleur. Il faut leur dire : patience ! On ne peut pas l'être tout le temps. C'est physiologique. Il y a un essoufflement dans le temps. Pour nous, cela ne doit pas être une fin, mais le début d'un renouveau. Une opportunité de rebondir. Nous allons tout faire pour revenir vers les meilleures performances nationales. »

« Il est temps que nous recomposions le fonds général dans un sens procurant davantage de rendements et de performance »

Comment faire pour retrouver les sommets ?

G.B. : « Il est temps que nous recomposions le fonds général dans un sens procurant davantage de rendements et de performance. Améliorons notre modèle, avec nos valeurs. Remodeler, cela voudra dire indubitablement limiter la poche des emprunts obligataires publics, qui représentent actuellement 37% du fonds. »

À quoi ressemblerait un fonds Afer remodelé, performant dans le marché actuel ?

G.B. : « Très bonne question ! Il faudra donc alléger la poche des emprunts publics au profit de supports qui rémunèrent mieux. Davantage de corporate [obligations d'entreprises, NDLR], de private equity [investissement dans une société non cotée en bourse, NDLR] qui a très bien performé au cours des 7 dernières années, d'immobilier. Il faut aller dans cette direction, sans excès pour les signatures dégradées, car notre fonds doit rester un fonds de sécurité. Mais, vous savez, je ne suis que le président de l'Afer, cela restera la responsabilité de notre gérant d'actifs. Nous fixons le cadre, nous contrôlons, surveillons, lui pilote. »

Vous demandez de la patience. Sous quel délai imaginez-vous une amélioration des performances ?

G.B. : « L'effet devrait commencer à se faire sentir dès l'annonce de taux en janvier 2024 portant sur le taux 2023. Il faut laisser le temps aux investissements obligataires de ces derniers mois, procurant des rendements de 3% ou 4%, d'apporter des coupons. Pour rappel, l'association n'est pas responsable de la gestion (1). Il appartient à notre nouveau gérant, OFI [qui remplace Aviva Investors France, NDLR], de prendre les orientations conformes à la volonté de l'association. Aller vers un fonds qui reste sécuritaire, garanti, mais qui permette de dégager davantage de performance. OFI en a la capacité. »

« L'épargne ne se résume pas à un taux »

Vous annoncez donc des jours meilleurs pour le taux Afer dès l'an prochain, et pour les années à venir...

G.B. : « En tant qu'économiste, je le pense, et en tant qu'adhérent, je l'espère ! Je souhaite dire à tous nos adhérents, anciens et nouveaux, qu'ils peuvent avoir confiance. On n'a pas été les meilleurs. C'est pour cela que notre vision évolue. Ne pas être une année le meilleur nous donne toutes les chances de tout faire pour le redevenir. C'est un challenge. L'épargne ne se résume pas à un taux. Vous avez de bons taux, parfois excessifs, qui peuvent conduire à la perte ou la ruine. Madoff en sait quelque chose... Et vous avez des taux équilibrés, qui sont le produit naturel des performances. Les taux Afer sont sincères et fidèles. On ne veut pas des taux artificiels, qui seraient les meilleurs une année, et qui deviendraient les pires une autre année. La gestion d'un fonds garanti, c'est un marathon. L'Afer ne veut pas faire un sprint pour être championne une année. Nous voulons de la régularité dans la durée. »

Les taux peuvent influer les choix des épargnants. Ne craignez-vous pas pour votre collecte ?

G.B. : « La collecte, c'est un concept très financier. Ce qui m'intéresse, c'est faire vivre l'association. Cela veut dire constater combien de jeunes ont souscrit notre offre 100 euros de versement sans frais, combien de PER ont été ouverts. On est dans une dynamique de population. Et la population a des attentes qui évoluent. »

« À l'Afer, on a la conviction qu'une bonne action peut aussi être une bonne affaire »

C'est-à-dire ?

G.B. : « Un élément important, c'est le sens que nous donnons à cette épargne. On est dans un monde nouveau, où le sens commence à primer pour les adhérents. Je ne suis pas sûr qu'ils préfèrent un investissement sans finalité qui rapporte un peu plus à un investissement responsable qui rapporterait un peu moins. L'idéal, c'est d'avoir les deux. À l'Afer, on a la conviction qu'une bonne action peut aussi être une bonne affaire. On a beaucoup mis l'accent là-dessus ces derniers temps. On a fléché la gestion d'actifs vers l'investissement durable, la transition écologique, le private equity, la French Tech. On préfère investir dans des valeurs, au vrai sens du terme. Cela a un coût, avant d'avoir un résultat. »

Pour doper la collecte, certains acteurs proposent des frais réduits ou nuls. L'Afer compte-t-elle en faire de même ?

G.B. : « Pour nous, ce sont des gadgets marketing. On est fidèles à nous-mêmes, sans être conservateur. On peut perdre en termes financiers ce qu'on gagne en valeurs sociétales. L'Afer c'est un grand paquebot. Le cap est fixé. On ne peut pas, au gré des turbulences, piloter à vue sans vision ni stratégie. »

Le taux Afer en retrait, contrat Gaipare Selectissimo fermé à la commercialisation (2)... Le modèle associatif a encore un sens ?

G.B. : « Il n'est pas grave de perdre un peu de terrain lorsque, à l'arrivée, on gagne la course. Le modèle Afer est éclaboussé, c'est incontestable. Mais en même temps, nous continuons d'être imités par de nombreux acteurs. Nous restons le partenaire privilégié des pouvoirs publics. Nous faisons entendre notre voix. Nous sillonnons la France, à la rencontre de nos adhérents. On a une véritable vie associative. Cela compte, également. Nous apportons une forte contribution au respect du statut juridique et fiscal de l'assurance vie. Nous faisons avancer les réflexions sur les règles de surveillance et de solvabilité. Nous favorisons un juste milieu dès qu'un grand enjeu voit le jour, comme dernièrement la transférabilité des contrats. Voilà notre engagement. Demain sera comme hier, en mieux. »

L'assurance vie multisupports Afer

(1) L'assureur Abeille Vie, ex Aviva France, gère le fonds Afer et le contrat multisupports éponyme. En parallèle, « Ofi Invest Asset Management gère la majeure partie du fonds garanti en euros ainsi que la plupart des supports en unités de compte » et pilote une partie des gestions sous mandat du contrat multisupports Afer.

(2) Remplacé par Fidelissimo, sur lequel la rémunération du fonds en euros est conditionnée au fait d'investir 5 ans minimum.