Les groupements forestiers, ou plutôt GFI, ont vu leur collecte multiplier par 7 en 3 ans. Calqués sur le modèle des SCPI, ils donnent l'opportunité d'investir dans les forêts françaises et européennes, avec un objectif de rendement annuel de 2,5%. Avec un sacré bonus : une réduction d'impôt de 25% et un abattement pour la transmission de 75%.

C'est ce qui s'appelle détourner une mesure de son objectif. Jusque dans les années 50, les forêts étaient soumises aux droits de succession. « Pour les payer, les héritiers réalisaient des coupes de bois », raconte Nicolas Agresti, directeur des études de la fédération des Safer, l'organisme qui accompagne l'activité agricole et l'évolution des zones rurales. « Les contraintes financières faisaient que l'on détruisait des décennies de travail sylvicole. »

L'État a donc mis en place un régime fiscal dédié, en créant en 1954, les groupements forestiers, une sorte de Société civile immobilière pour les bois. Cinq ans plus tard, la « Loi Monichon » institue un abattement de 75% des droits de mutation gratuite (donation, succession...). « Ce n'est pas un bien classique, justifie l'expert de la Safer. Le dispositif visait à éviter de l'abîmer ». La mesure a fonctionné, protégeant mieux les parcelles. Mais elle a donné des idées aux investisseurs. Car la loi n'imposant pas de délai de conservation de parts, le GFI constituait une sacrée optimisation pour transmettre son capital. « Les dispositifs fiscaux favorables créent toujours des achats d'opportunité », analyse Nicolas Agresti.

« C'est le même principe que les SCPI : les GFI diversifient les zones géographiques et les essences pour limiter le risque »

Le bon plan s'est largement diffusé. Les grandes fortunes ont commencé à s'intéresser à ce type de biens. Puis comme pour l'immobilier, l'offre s'est démocratisée. Des groupements fonciers forestiers ont vu le jour, puis des groupements forestiers d'investissement (GFI) en 2014. Calqués sur le modèle des SCPI, les GFI permettent d'acquérir des parts dans des fonds mutualisés. « C'est le même principe que les SCPI : les GFI diversifient les zones géographiques et les essences pour limiter le risque », résume un spécialiste. Certains véhicules vont même acheter des forêts en Europe du Nord ou de l'Est.

Impôt sur le revenu : déduire 25% l'année suivant l'investissement

Les épargnants bénéficient de la loi Madelin pour l‘investissement dans les PME. Ils peuvent donc actuellement déduire 25% de leur investissement l'année suivante, dans la limite du plafond des niches fiscales (10 000 euros). « Cela a généré une attractivité particulière pour les grands massifs forestiers, qui s'est traduite par une hausse importante de la valeur », constate le spécialiste de la Safer.

Même en prenant en compte de l'inflation du bois, le prix de vente est désormais décorrélé de l'estimation « technique » des biens. Éric Bengel, directeur associé de France Valley, leader écrasant des investissements forestiers (4 milliards d'euros et 41 000 hectares en gestion), ne nie pas un effet spéculatif : « Il y a un biais de marché. Les personnes fortunées sont prêtes à surpayer un actif foncier, dans la mesure où le levier fiscal sera encore plus conséquent. » Récemment, un massif prestigieux était mis à prix à 80 millions d'euros. Il a finalement été cédé pour plus de 200 millions, soit un abattement possible de 150 !

Un rendement « global » de 2,5% ?

La durée, c'est justement le principe de base des GFI. La défiscalisation impose au moins 5 ans de détention des parts. En investissant en 2023, on est « bloqué » jusqu'au 31 décembre 2028. Pendant ce temps, on reçoit chaque année des dividendes décidés lors d'une assemblée générale. Les sources de revenus sont multiples. La majeure partie provient de la vente de bois, mais celle-ci est irrégulière, dépendant d'une démarche obligatoire de gestion durable. Ensuite, des baux sont accordés pour la chasse et la pêche. Enfin, chaque GFI conserve un fonds de trésorerie pour assurer la liquidité, qui génère une petite rémunération.

« Le levier de performance, c'est la revalorisation du prix des parts »

Mais qu'on ne s'y trompe pas : au total, ces dividendes ne dépassent pas 1% ou 1,5% en moyenne ! « Le levier de performance, c'est la revalorisation du prix des parts », signale le directeur associé de France Valley. Leur plus grand véhicule a ainsi vu ses parts gagner 11% depuis mi-2022. « L'objectif de ce type de placement, c'est un TRI [taux de rendement interne, NDLR] de 2,5% », rendement annuel moyen net de tous les frais. Même si ces dernières années, France Valley a plutôt livré entre 4 et 4,5% nets.

La réduction fiscale vient donc doper cette performance. Et si l'on ajoute l'abattement pour transmission, c'est un « produit de défiscalisation très puissant », juge Pierre Garin, directeur du Pôle immobilier du courtier Linxea. Le plus étonnant, c'est qu'il est donc possible de procéder à un achat un jour, et d'en assurer la transmission dès le lendemain !

Gestion durable

Les GFI sont souvent présentés comme des investissements de « conviction ». « Tous les citoyens sont sensibles à la forêt, qui recouvre un tiers du territoire », glisse Éric Bengel. Mais justement, en gagnant de l'argent par la chasse et la coupe de bois, ce placement a de quoi repousser les amoureux de la nature !

« La chasse fait partie de la gestion forestière », assure Nicolas Agresti. La pression animale fait partie des menaces sur le renouvellement des boisements. » Quid de la coupe de bois ? « Ce n'est pas de la destruction, mais de la gestion durable, rebondit-il. Les gestionnaires conduisent la forêt pour avoir une source continue de revenus. Ils ne cherchent pas un gros coup sur une année. » Tout ceci est très encadré : un « plan de gestion simple » est imposé à partir de 20 hectares. Il définit la politique de gestion sylvicole sur les 15 à 20 prochaines années.

« Les groupements forestiers sont responsables devant l'administration des pratiques mises en place », reprend Nicolas Agresti. Eric Bengel va dans le même sens : France Valley n'a pas le droit de raser ses parcelles ! « On ne peut pas couper plus que le volume d'accroissement naturel de l'ensemble des actifs forestiers. » Ce qui fait dire à la Safer que les GFI ont un intérêt pour le milieu ambiant. « Les forêts mal gérées se fragilisent. Ce sont elles qui ont été touchées par les grands incendies, dans le sud de la France. » Alors qu'une bonne gestion prévoit des accès adaptés, la lutte contre les feux...

Frais et fiscalité : une complexité à comprendre avant d'investir

Du point de vue des épargnants, les GFI France Valley (plus de 80% du marché) s'apparentent beaucoup aux SCPI. On achète des parts, dont le coût est de 1 000 euros. Les frais d'entrée sont de 10%, mais l'économie d'impôts s'applique sur tout le versement, donc 25% sont amortis d'emblée. Toutefois, « il n'y a pas grand intérêt à sortir rapidement, juge Pierre Garin de Linxea. Si l'on continue de les conserver quelques années, on continuera à percevoir des dividendes de temps en temps. » Par la suite, il faut uniquement prévoir des frais de gestion de 0,5% par an.

Le plafond d'investissement pour bénéficier de la réduction d'impôt sur le revenu est de 50 000 euros, ou 100 000 pour un couple. Attention : la fiscalité est un casse-tête : le dividende est concerné par trois impôts ! Pour la coupe de bois (la grande majorité de la somme), un « forfait cadastral » (environ 4%) est libératoire de tout autre impôt ou prélèvement social. De leur côté, les baux de chasse et pêche sont considérés comme des revenus fonciers. Enfin, la petite part de revenus tirés de la trésorerie est imposée à la flat tax.

Reste un élément, loin d'être négligeable : les parts de GFI sont exonérées d'impôt sur la fortune immobilière (IFI).

« Il n'y a donc pas grand intérêt à sortir rapidement. Si l'on continue de les conserver quelques années, on continuera à percevoir des dividendes de temps en temps. »

Avantages fiscaux

Pour prétendre être éligible à la réduction d'impôts, la loi impose que les véhicules ne dépassent pas 15 millions d'euros. Chez France Valley, cela correspond à une mutualisation de 7 à 12 massifs. Lorsque la collecte est complétée, le gestionnaire a 24 mois pour investir. Puis, au bout de 6 ans, le leader du GFI propose de fusionner le « petit » fonds avec un « fonds mère » nommé GFI France Valley Patrimoine. « Il représente un peu plus de 350 millions d'euros et 107 forêts, précise Éric Bengel. La fusion se fait sans frais. Mécaniquement, on bénéficie d'une plus grande diversification. » Une fois dans le « grand » fonds, l'investisseur pourra facilement céder ses parts : chaque fusion provoque un mouvement de nouvelles parts. Et c'est fréquent, puisque 10 millésimes ont été bouclés sur les trois dernières années.

Pour la transmission, le système est également un peu complexe. L'abattement de 75% concerne uniquement la « part forestière ». En début de vie, les nouveaux véhicules n'ont pas encore pu acheter beaucoup de forêts. Par conséquent, il vaut mieux attendre que le GFI ait été absorbé par le fonds mère, qui est composé de 85% de bien forestiers. Dans ce cas, l'abattement sera au final de 63% (75% de 85%). Certains ont une autre tactique : plutôt que d'attendre 6 ans, ils achètent directement des parts de France Valley Patrimoine. La mise minimale est de 33 150 euros, et il ne donne pas droit à l'exonération fiscale. Mais ce n'est pas prioritaire dans un projet de transmission. « Le GFI est un très bon montage pour les gens qui ont déjà pris d'autres dispositions, note Éric Bengel. Il reste l'un des seuls leviers encore accessibles quel que soit l'âge du souscripteur. On fait des dossiers pour des personnes âgées de 80 voire 90 ans ! »

Des risques partiellement couverts

Malgré tout, le GFI comporte différents risques. Certains sont couverts par des assurances, comme l'incendie, la tempête ou la grêle. Par contre, ce n'est pas le cas pour les problèmes phytosanitaires (parasites, champignons...). Si une forêt est touchée, cela fera baisser le prix de la part, même si la mutualisation en limite l'impact. Pour prévenir cette problématique, France Valley cherche à varier les essences : « Dans une forêt hautement diversifiée, il n'y a pas de facteur de contagion possible. »

Un autre élément « pas assez pris en compte » selon la Safer, c'est le réchauffement climatique. « On peut imaginer que certains arbres vont être en souffrance, suppose Nicolas Agresti. La valeur de la forêt sera alors fragilisée. » Eric Bengel acquiesce, mais suggère qu'avec le temps, les arbres évoluent pour s'adapter à des conditions plus difficiles. Et les gestionnaires mènent une politique de replantation d'essences « plus méridionales ».

Enfin, le dernier risque concerne l'évolution des lois, notamment une éventuelle suppression de l'abattement sur la transmission. Dans ce cas, les grandes fortunes s'écarteraient du marché, ce qui provoquerait une chute des prix... Comme une bulle qui éclate. Mais les acteurs du GFI veulent croire que ce dispositif, apparu il y a près de 70 ans, est pérenne. « Cet abattement a du sens, défend Éric Bengel. Quand on décide de planter des arbres, on n'en tire aucun revenu pendant 80 à 100 ans. »

Perspectives prometteuses pour le « bois-papier » ?

À l'inverse, des éléments pourraient dynamiser le marché. Au-delà de l'évolution de la valeur du bois (la demande dépasse l'offre), la Safer évoque le sujet du stockage de carbone rémunéré. « Il est possible que demain, les propriétaires forestiers puissent vendre sous certaines conditions du crédit carbone, se réjouit Éric Bengel. Cela viendrait largement doper la rentabilité. »

Néanmoins, le GFI reste confidentiel, même si la collecte est passée en trois ans de 37 à 250 millions d'euros, dont 205 pour France Valley. « On est sur un marché étroit. On ne pourrait se permettre d'investir des milliards d'euros. » Et comme le veut la saison de la défiscalisation, tout le monde s'active au dernier moment. La limite pour investir est fixée au 27 décembre. Alors que la pierre-papier connaît des remous, il est peut-être temps de s'essayer au « bois-papier » !

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