De la pension de retraite à l'allocation chômage en passant par le Smic, les APL ou le RSA, tous les mécanismes de revalorisation sont bousculés par l'envolée soudaine de l'inflation à plus de 5%. Ils ne parviennent pas à protéger le pouvoir d'achat des ménages. Qu'est-ce qui cloche ? Quelles solutions ? Eléments de réponse avec l'économiste Pierre Madec, de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Les prévisions d'inflation pour l'ensemble de l'année 2022 sont sans cesse revues à la hausse. L'estimation de 4,4% de la Banque de France commence déjà à dater, l'Insee livrera la sienne fin juin... Quelle est la prévision de l'OFCE ? Et approche-t-on d'un plafond ?

Pierre Madec : « Notre estimation est de 4,9% pour 2022. Mais je ne me risquerais pas à dire que l'on a atteint le plus haut ou si les prix peuvent augmenter encore plus vite. »

Si la majorité présidentielle est réélue, le gouvernement promet 4% de hausse pour les retraites de base voire peut-être pour le RSA et autres prestations sociales. 4%, ajoutés aux hausses récentes, cela ferait tout de même 5,1% et 5,8% avec les dernières hausses. Serait-ce suffisant face à l'inflation.

P.M. : « Nous avons cherché à mesurer la contribution à l'évolution du pouvoir d'achat des retraites et prestations sociales [dans les projections économiques 2022 de l'OFCE, NDLR]. Ce qui ressort de nos prévisions, et même si tout dépend évidemment de la situation de chaque ménage, c'est qu'une hausse de 4% des prestations sociales compenserait les pertes en pouvoir d'achat dues à l'inflation pour les bénéficiaires. Pour les retraités en revanche, la compensation ne serait pas totale pour tout le monde, notamment car les retraités ont un niveau de vie plus élevé et que cette revalorisation de la retraite de base soutient plus nettement le pouvoir d'achat des ménages plus modestes. »

Retraite, loyers, livret A, APL, CAF... Les gagnants et les perdants des plus de 5% d'inflation

Y a-t-il une meilleure formule que d'autres parmi les multiples mécanismes de revalorisation ? Celui du Smic, qui prévoit une hausse automatique en cours d'année dès que l'inflation augmente de plus de 2%, est-il un bon compromis ?

P.M. : « C'est évidemment une bonne chose pour le pouvoir d'achat que le Smic puisse augmenter. Mais le débat reste ouvert. Pourquoi ne le révise-t-on pas chaque mois ? Car il faut un minimum de stabilité et il serait délicat de l'abaisser ponctuellement en cas d'évolution sur courant alternatif... »

« Jusqu'en 2015, les prestations sociales étaient revalorisées sur la base d'une prévision d'inflation annuelle... »

La hausse de seulement 1,8% des prestations sociales au 1er avril dernier alors que l'inflation dépassait déjà 4% illustre-t-elle les manquements du mode de calcul de cette revalorisation annuelle ?

P.M. : « Jusqu'en 2015, les prestations sociales étaient revalorisées soit en janvier soit en avril sur la base d'une prévision d'inflation annuelle... avec une correction éventuelle en fin d'année sur la base des chiffres définitifs. Ce fonctionnement a été abandonné car jugé trop compliqué. Et donc remplacé par le calcul actuel basé sur l'inflation constatée au cours des 12 derniers mois. Cela fonctionne bien tant que les prix progressent peu. Mais cela ne fonctionne plus quand ils progressent vite, comme aujourd'hui. Le fait qu'il faille passer par un projet de loi “pouvoir d'achat” 3 mois après la revalorisation annuelle montre bien que l'actuel mode de calcul n'est plus adapté. »

Dans les perspectives économiques françaises 2022 de l'OFCE, vous insistez sur les effets pervers de l'indice de référence des loyers (IRL). Pourquoi ?

Pierre Madec : « Cet indice, qui sert de référence pour la révision annuelle des loyers, est lui-même basé sur l'indice des prix à la consommation (hors tabac et hors loyers). Selon nos prévisions, l'IRL sera de plus de 5% à la fin de l'année 2022. Si l'on ne fait rien, l'impact est clair : +5% sur les loyers. Le gouvernement peut agir. Si l'inflation est actuellement plus modérée en France qu'ailleurs en Europe, c'est que certaines mesures ont été prises pour la freiner : ristourne carburant, prime inflation, etc. »

« Un loyer est censé évoluer en fonction des charges pesant sur les propriétaires... et non selon les prix des énergies »

Pensez-vous qu'il faille revoir la mesure de cet IRL ?

P.M. : « C'est une vraie question, pour la révision des loyers. L'IRL progresse aujourd'hui indirectement suite à la hausse des prix de l'énergie. Pourtant, cette hausse des coûts énergétiques ne pèse pas sur les charges des propriétaires. Or un loyer est censé évoluer en fonction des charges pesant sur les propriétaires... »

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Enfin, un dernier mode de calcul de revalorisation posant question : les allocations chômage. La décision, certes prise à la lumière de l'inflation revient aux administrateurs de l'Unédic...

P.M. : « C'est une revalorisation quasi discrétionnaire. Quelle est la visibilité des bénéficiaires sur le pourcentage d'augmentation ? »