Un cap historique dépassé cet été (5 millions de clients), un changement de nom et un nouveau plan stratégique, qui doit l'amener à 8 millions de clients et une rentabilité dépassant les 300 millions d'euros en 2026 : ça bouge chez BoursoBank (ex Boursorama Banque). L'occasion d'échanger avec Benoît Grisoni, qui dirige le leader français de la banque en ligne depuis plus de 10 ans.

Benoît Grisoni, Directeur général de Boursorama
Benoît Grisoni
Directeur général de Boursorama
Benoît Grisoni a fait l'essentiel de sa carrière chez Boursorama, débutant comme conseiller clientèle en 1998, avant de devenir directeur de la banque en ligne en 2009, puis directeur général de Boursorama en 2017.
Benoît Grisoni, Boursorama Banque devient BoursoBank. Pourquoi ce changement de nom, et pourquoi maintenant ?

« Précisons d'abord que c'est une évolution, pas une révolution. Le changement de nom concerne uniquement l'identité commerciale, pas le portail d'informations financières ou la dénomination sociale de l'entreprise. L'objectif est de simplifier la marque, avec un nom plus concis. Le mot “Bank“ y prend plus de poids et c'est important, car c'est un facteur de différenciation avec certains acteurs digitaux qui ne peuvent pas l'afficher. Quant à l'identité visuelle, elle n'avait pas été changée depuis 9 ans, il nous a paru intéressant de la moderniser, au moment même où nous déployons un nouveau plan stratégique très ambitieux. »

Ce changement de nom est-il lié à une volonté de s'internationaliser ?

« Peut-être qu'un jour, cela sera vrai. Boursorama a déjà été à l'international par le passé, en Espagne, en Grande-Bretagne, en Allemagne, sous d'autres marques, et nos concurrents sont internationaux. Mais aujourd'hui, cela n'a rien à voir. »

« Il est clair que le marché de la banque en ligne est plus profond qu'anticipé »

En 2020, vous nous expliquiez que Boursorama n'avait « pas vocation à servir tous les Français ». Votre nouveau plan stratégique, pourtant, vise les 8 millions de clients en 2026, soit autant que certaines banques traditionnelles à portée nationale. Votre avis sur le sujet a-t-il changé ?

« Nous restons humbles : BoursoBank ne peut pas répondre à tous les besoins de tous les Français. En revanche, il est clair que le marché est plus profond qu'anticipé. Nous avons recruté 800 000 clients en 2021, 1,5 million en 2022... Quelle est sa profondeur exacte ? On ne la connaît pas réellement. Mais nous sommes persuadés aujourd'hui que nous pouvons atteindre cet objectif de plus de 8 millions de clients en 2026. »

Covid : comment Boursorama Banque traverse la crise

Qu'est-ce qui vous rend si confiant ?

« Nous le constatons : le prix reste la première raison qui incite nos nouveaux clients à nous rejoindre. Le pouvoir d'achat a toujours été un sujet pour les Français, mais il l'est encore plus en ce moment. Or voilà 15 ans que nous sommes fiers d'afficher que nous sommes la banque la moins chère. Nous constatons également que la nouvelle génération de clients n'a plus aucune réticence vis-à-vis de la banque digitale. La question ne se pose même plus pour elle. Enfin, la multibancarisation continue de progresser en France. BoursorBank est généralement utilisée, dans un premier temps, comme une banque secondaire. Nous assumons que nos clients nous testent : ils commencent par une carte bancaire, puis ils ouvrent un Livret A, puis un Livret Bourso+, puis une assurance vie : cela ne se fait pas en deux jours. »

Le classement des banques les moins chères

Lors d'une récente communication, vous avez annoncé que 51% de vos clients utilisaient BoursoBank comme banque principale. Comment ce chiffre évolue-t-il dans le temps ?

« Il a progressé au fil des années, il tend toutefois à se stabiliser, ce qui est logique en période de forte acquisition. Pour qu'un client nous utilise comme banque principale, il faut lui laisser le temps de s'imprégner : changer ses domiciliations bancaires, importer ses contacts de paiement, apprendre à utiliser l'application... Faire monter ce chiffre est un objectif prioritaire, mais cela prend un peu de temps. Nous regardons aussi de très près le niveau de satisfaction et le niveau d'équipement, hors banque au quotidien. Ce sont deux enjeux majeurs. Nos statistiques montrent que nos clients restent dans la banque, sont plutôt satisfaits et s'équipent dans le temps. Nous constatons que l'encours d'un client est multiplié par 3 entre sa 1ère année et sa 5e année chez Boursorama. Cela montre que nous ne faisons pas que de l'acquisition, mais aussi de l'équipement. »

« L'encours d'un client est multiplié par 3 entre sa 1ère année et sa 5e année chez nous »

Début août, vous indiquiez dans un communiqué avoir enregistré un résultat net positif de 47 millions d'euros au 2e trimestre. Pour atteindre vos nouveaux objectifs, allez-vous devoir renoncer provisoirement à cette rentabilité ?

« Notre forte croissance, et les coûts qu'elle génère, a longtemps masqué à quel point notre modèle d'affaires était rentable. Au 1er trimestre 2023, nous avons accueilli 300 000 clients, soit un peu moins qu'en 2022 à la même époque, et nous étions à peu près à l'équilibre du point de vue financier. Au 2e trimestre, en pilotant notre acquisition autour de 130 000 clients, ce qui reste un excellent niveau de conquête, nous avons généré un résultat net de 47 millions d'euros. Je pense qu'on l'a prouvé : le rationnel sous-jacent de Boursorama est rentable, comme l'est d'ailleurs celui de certains de nos concurrents. C'est ensuite une question de choix. Celui du groupe Société Générale est d'accélérer le plus possible la capacité d'acquisition de Boursorama. Cela va évidemment nécessiter un investissement important pendant toute la période qui s'ouvre, de l'ordre de 150 millions d'euros de résultat brut sur la période 2023-2025. »

L'écosystème de la banque numérique est très mouvant. ING a quitté le marché français, Orange Bank s'apprête à disparaître, BforBank opère un virage à 180°, des acteurs comme Nickel et Revolut affichent leur ambition de diversifier leurs offres. Qu'est-ce ça change pour BoursoBank ?

« Cela confirme que chaque acteur de ce marché doit être considéré spécifiquement. Comparer a peu de sens. Les points de départ, les stratégies, les moyens engagés sont différents. On ne peut pas tirer d'enseignements généraux. Nous avons la chance d'avoir un modèle qui a fait ses preuves et un actionnaire qui n'a jamais été aussi engagé. Une chose est certaine : la concurrence est toujours là, je n'ai pas le sentiment d'une pause. »

« Le Livret d'épargne populaire est à l'étude »

Le catalogue de produits et services de Boursorama est sans doute aujourd'hui le plus fourni de toutes les banques 100% numériques. Il y a toutefois quelques manques. Pourriez-vous, par exemple, proposer un produit comme le Livret d'épargne populaire ?

« C'est à l'étude. Nous proposons tous les produits d'épargne réglementée, sauf celui-là. Le LEP est un peu plus complexe, puisqu'il est soumis à une condition de revenus, qu'il faut pouvoir vérifier. Les Finances publiques proposent désormais une interface informatique, qui permet une vérification automatique de cette condition, plus conforme à nos processus. »

Les clients de BoursoBank peuvent déposer des chèques, mais pas d'espèces. Cela pourrait-il changer ?

« Non, ça n'est pas prévu et nous n'avons pas de demande particulière des clients sur le sujet. »

Autre produit présent dans l'offre de certains de vos concurrents, mais pas dans la votre, le paiement entre particuliers Paylib entre amis. Figure-t-il sur votre roadmap ?

« C‘est un sujet encore en cours de cadrage. »

Qu'en est-il des cartes virtuelles à usage unique, qui permettent d'éviter d'exposer son numéro de carte physique lors d'achats en ligne ?

« Nous proposons déjà aux clients de bénéficier d'une carte virtuelle dès l'ouverture de leur compte bancaire et avant même d'avoir reçu leur carte physique. Nous sommes convaincus que cet objet, dernier élément physique qui matérialise la relation avec le client, est voué à disparaitre à plus ou moins long terme. Nous étudions donc tous les cas d'usage susceptibles de faire du sens pour la majorité des clients. La carte virtuelle à usage unique fait partie des sujets, même si ce n'est pas celui qui génère le plus d'usage. »

La carte Metal payante trouve-t-elle son public ? Quelle part représente-t-elle dans vos ouvertures de compte ?

« Oui, la carte Metal a trouvé son public, c'est-à-dire un public très premium et donc évidemment plus limité en nombre que pour nos offres grand public. »

« Le nombre d‘appels téléphoniques moyen par client est inférieur à un par an »

BforBank va proposer un service clients téléphonique 24/7. Y a-t-il une réflexion chez BoursoBank pour s'aligner sur cette proposition ?

« Le modèle de BoursoBank est basé sur l'autonomie du client : le client est libre mais pas seul et bénéficie d'une richesse de fonctionnalités et de contenus pédagogiques (FAQ, guide, webinaires, etc.) unique sur le marché. Nous enrichissons constamment notre appli pour mieux le guider. Néanmoins, il peut se trouver des cas où il ressent le besoin de nous poser des questions. Plusieurs canaux sont alors à sa disposition : chatbot, call bot et service au téléphone. Les clients, notamment les plus jeunes d'entre eux, utilisent désormais majoritairement les deux premiers canaux, qui représentent 60% des échanges totaux. Le nombre d‘appels téléphoniques moyen par client est inférieur à un appel par an et il a même baissé de plus de 20% sur un an. Plus fondamentalement et pour les prochaines années, nous investissons sur le développement de notre service d'IA conversationnelle, qui sera demain au cœur de la relation client. »

BoursoBank a-t-elle toujours des ambitions sur le crédit immobilier, malgré le contexte compliqué par la hausse des taux ?

« Oui, bien entendu. Le crédit immobilier est une activité stratégique pour développer une vraie relation bancaire sur le long terme avec nos clients. Le contexte de taux n'est pas favorable depuis plus d'un an, mais nous espérons que cela s'améliore dans les prochains mois. Nous constatons d'ailleurs une légère reprise depuis quelques semaines. »

BoursoBank réfléchit-elle à partager avec ses clients une partie des revenus générés par la hausse des taux, sous la forme par exemple d'une rémunération du compte courant ?

« Dès la fin d'année dernière, nous avons rapidement réagi et lancé de nouveaux produits pour permettre à nos clients de profiter de la hausse des taux. Aujourd'hui, nous proposons une gamme complète de produits d'épargne de précaution, sans frais, à capital garanti et bien rémunéré : le Livret A, le LDDS, le livret Bourso+ (2,5%) et les comptes à terme 12 mois (3%) et 18 mois (3.5%). Ces produits peuvent être souscrits très facilement et rapidement en quelques clics seulement depuis l'application mobile ou l'espace clients web. Cela explique sans doute leur succès. A titre d'illustration, nous avons collecté plus de 3 milliards d'euros sur le livret Bourso+ et les comptes à terme depuis le 1er janvier dernier. »

Pourquoi BoursoBank a-t-elle mis fin à l'assurance auto Carapass ? Est-ce qu'une nouvelle offre est prévue ?

« La promesse de départ de Carapass était simple : je ne paie vraiment mon assurance auto que quand je roule. Nous restons convaincus que c'est la bonne approche mais l'exécution de cette première version réclamait trop d'effort pour le client. La future version devrait mieux répondre aux attentes du plus grand nombre. »

« La fraude réclame la vigilance de tous, y compris des clients »

BoursoBank a beaucoup intensifié ses messages de sécurité lors des opérations sensibles (changement de code, ajout de bénéficiaire, etc.). La fraude visant vos clients a-t-elle atteint un seuil critique ?

« Comme pour tous les établissements bancaires, la fraude est un sujet qui nous préoccupe et nous mobilise énormément. Nous devons réagir vite et en permanence pour contrer les dispositifs de plus en plus sophistiqués des fraudeurs et protéger nos clients, tout en tentant de limiter les impacts de nos actions sur les usages légitimes de nos clients de leur argent. C'est un sujet qui mobilise beaucoup de ressources, notamment informatiques, dans toutes les banques, mais sur le fond c'est un sujet de place, qui concerne et réclame la vigilance de tous, y compris des clients. Nous faisons tous beaucoup de pédagogie, mais il reste encore beaucoup à faire pour sensibiliser les clients aux nouvelles techniques de fraudes, notamment celle des appels de faux conseillers. »

Récemment, vous avez demandé à vos clients de cliquer pour confirmer avoir pris connaissance d'un message de prévention. Ce clic pourra-t-il leur être opposé s'ils demandent à être remboursés suite à une fraude ?

« Nous souhaitons rendre nos clients acteurs de la prévention des fraudes. Dans des parcours particulièrement sensibles, nous affichons des messages contextualisés visant à alerter les clients que certaines situations ne font pas partie de nos protocoles habituels et qu'elles sont le signe très probable d'une fraude. La coche à cliquer pour confirmer la prise de connaissance de ces infos est avant tout un moyen de faire réagir nos clients et ne constitue évidemment pas à elle seule un motif de refus d'un remboursement de fraude. L'Observatoire de la sécurité des moyens de paiement (OSMP) a d'ailleurs précisé ces dernières semaines les critères qui devaient définir la négligence grave d'un client ou la responsabilité de la banque. »

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